J’aime les lunatiques du Non. Du non opposé aux vérités faciles construites par les hommes qui vivent sur terre. Du non adressé à tout l’espace des « petits arrangements » sans lesquels la grande comédie sociale est impossible.
Melville, le plus mélancolique des romanciers américains du XIXe siècle, fut un de ces insoumis, parmi beaucoup. Il s’intéressa à l’homme que le vent déplace comme une feuille, l’homme qui n’a rien et qui mène une vie – comme Melville lui-même – solitaire et fugitive. Melville en personne aspira à être le Bartleby par excellence. Bartleby l’employé intraitable qui, à tout ordre de son chef, répond un irréfragable (et énigmatique): « Je préférerais ne pas » (I would prefer not to) entraînant par là le dérèglement de tout.
Dans une lettre à son ami Nathaniel Hawthorne, Melville fit l’éloge du non comme centre vide, mais toujours puissant, autonome, fructueux:
« Car tous ceux qui disent oui mentent; et tous ceux qui disent non… ma foi sont dans l’heureuse condition de judicieux voyageurs qui parcourent l’Europe sans encombre: ils franchissent les frontières de l’Éternité avec en tout et pour tout un sac en tapisserie – c’est-à-dire l’Ego. Tandis que ces messieurs du oui voyagent avec une montagne de bagages et, que le Diable les emporte! ils ne franchiront jamais la douane. »
Illustration: photographie de Frank Herholdt
En résumé ceux qui disent oui sont des propriétaires sédentaires, ceux qui disent non sont des troubadours nomades. L’éternel rivalité de « la cigale et la fourmi « du genre fabliau tombé en désuétude.
Je ne crois pas que la guerre oui-non soit tombée en désuétude. Est-ce d’ailleurs bien une guerre ?
Dire non a quelque chose de jubilatoire. Cela affirme Moi. mais c’est également ouverture car « non » suppose une autre vision, d’autres espaces.
à la défense du oui, il faut bien dire que parfois cependant, on apprécie de rencontrer quelqu’un qui nous murmure « oui… » dans le creux du cou.
ANTIGONE
Eh bien, tant pis pour vous. Moi, je n’ai pas dit « oui » ! Qu’est-ce que vous voulez que cela me fasse, à moi, votre politique, votre nécessité, vos pauvres histoires ? Moi, je peux dire « non » encore à tout ce que je n’aime pas et je suis seul juge. Et vous, avec votre couronne, avec vos gardes, avec votre attirail, vous pouvez seulement me faire mourir parce que vous avez dit « oui ».
« Penser, c’est dire non » : ainsi parla Alain (le philosophe).
HORS DES CHAINES DE LA LUNE
Derrière l’apparence lunatique
Des cavaliers du non
S’épanouit un nom qui dit oui
Que ne voient pas
Les Westlanders américains
Dont l’imagination est bordée
Par les limites des effluves
De pourpre et d’obsidienne
Qui tapissent des contours
Aux aérosols de frontières