“Lupus lupi homo est” (sales petits comportements autoroutiers*)

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  • Lorsqu’une voiture change de voie, les autres conducteurs doivent freiner. Les conducteurs pressés ressentent de la frustration et essayent de changer de voie eux aussi. Cela ralentit encore plus la circulation sur l’ensemble de l’autoroute.
  • Le conducteur regarde dans le rétroviseur et constate qu’une voiture veut le doubler. Indigné, il fait exprès de conduire plus lentement afin de léser le conducteur inconnu. Mais il ne va pas jusqu’à conduire trop lentement. Il roule assez lentement pour ennuyer l’autre mais assez rapidement pour que celui-ci ne puisse pas le doubler!
  • Tout conducteur est un peu paranoïaque et considère que la route lui appartient. C’est « ma place »** et a l’impression que la voiture sur la file adjacente est en train de la lui voler. Il imite l’autre conducteur et essaie de se venger en le doublant. Puis il freine soudainement. La voiture derrière lui doit ralentir aussi: manœuvre dangereuse.
  • A l’approche de la station de péage alors qu’il est demandé de ralentir chacun se précipite vers la file qu’il estime la moins chargée, « course » pour arriver le premier, larges déboitements très dangereux.
  • Etrange sensation partagée par tous et qui relève du fantasme hallucinatoire: les files de gauche ou droite avancent plus vite que la mienne, je n’ai pas fait le bon choix, frustration, regards haineux vers les autres conducteurs (qui pensent exactement la même chose les concernant, mauvais choix, etc.).

La route est un lieu un peu sauvage, en dehors de la loi. Les comportements y sont régressifs: à la fois grégaires (mimétisme***) et infantils (individualisme et narcissisme forcenés). On peut y décharger la colère accumulée pendant une longue journée de travail et de stress: on invective, hurle de rage, avec parfois des gestes obscènes. Les hommes (statistiquement majoritaires) y sont transformés en bêtes, emprisonnés dans leurs cages d’acier, de verre et de caoutchouc.
Ecce homo.

* Je n’ai pas la prétention de m’en exempter!
** « ‘Ce chien est à moi, disaient ces pauvres enfants; c’est là ma place au soleil.’ Voilà le commencement et l’image de l’usurpation de toute la terre. » Blaise Pascal, Pensée 295.

*** La théorie mimétique de René Girard éclaire parfaitement ces comportements qui peuvent déboucher sur une violence extrême (« road rage phenomenon « ).

Illustration: « Highway to hell… », photographie de Michael Allmaier

  1. Ne voulant pas me « transformer en bête emprisonnée dans ma cage d’acier, de verre et de caoutchouc », j’évite au maximum d’emprunter les autoroutes.
    En revanche, je fréquente les supermarchés. Et je peux affirmer (pour les pratiquer moi-même…), que l’on y retrouve, lorsque l’on aborde les caisses en poussant son chariot, les brillants comportements de vos points 4 et 5!

    Oui, je n’avais pas pensé que les autoroutes et leurs bretelles mènent droit vers les supermachés… Votre observation est très juste. 🙂

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Patrick Corneau