Dialoguant avec ses deux invités sur le Cœur des ténèbres de Conrad, Alain Finkielkraut a fait récemment dans son émission Répliques (17/02) le commentaire suivant à propos du mot anglais restraint:
« Restraint c’est la civilisation par excellence, c’est la réserve, la retenue et il est dit de Kurz* qu’il est incapable de se réfréner dans l’assouvissement de ses désirs variés. Ce que disait le père de Camus dans Le premier homme: ‘Un homme, ça s’empêche’, magnifique définition de l’humain. »
Voici le passage du roman en question: « Des gens bien, les cannibales, à leur façon. C’étaient des hommes avec qui l’on pouvait travailler, et je leur suis reconnaissant […]. Pourquoi, au nom de tous les démons tenaillants de la faim, mais pourquoi ne se jetaient-ils pas sur nous? À trente contre cinq, ils pourraient pour une fois s’en foutre jusque-là! Quand j’y pense aujourd’hui je n’en reviens pas […]. j’ai compris qu’une certaine retenue, un de ces mystères humains qui défient la probabilité, avait dû jouer […]. De la retenue! Autant attendre de la retenue chez une hyène rodant parmi les cadavres d’un champ de bataille. Et pourtant le fait était là, éblouissant, comparable à l’écume sur les profondeurs de la mer, à une ride sur une énigme insondable. »
Joseph Conrad, Cœur des ténèbres, traduction de Catherine Pappo-Musard, Librairie Générale Française, 1988, pp. 148-181.
* Le colonialiste avide d’ivoire et drogué d’idéalisme humanitaire.
Illustration: Marlon Brandon interprétant le personnage de Kurz dans Apocalypse Now de Francis Ford Coppola
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