Lorsque ma lecture fut terminée, j’ai jeté un coup d’œil sur les recensions auxquelles La nuit du cœur avait pu donner lieu depuis sa sortie en librairie le 4 octobre, soit une dizaine de jours. Je fus surpris par le peu de commentaires publiés. Quelques blogueurs qui, dans un enthousiasme mimétique, célèbrent le livre en faisant du sous-Bobin*. Dans la presse, rien. Inhabituel pour un écrivain qui suscite depuis longtemps de multiples et souvent contrastées réactions. Un grand calme entoure cette longue méditation ou plutôt ruminement poétique autour des 104 vitraux que François Soulage a réalisés à l’abbaye de Conques.
Faut-il troubler ce calme? Car il se pourrait que La nuit du cœur soit un livre qui génère du silence**, un silence en majesté qui cloue le bec au lecteur y compris aux adorateurs, aux adulateurs qui restent « bouche bée ». Quant aux sarcastiques, n’en parlons pas. Un silence bienfaisant car bruissant de choses qu’on ne peut dire en public, des choses à ressasser dans un coin de son cerveau, dans son for intérieur. Des choses qui nous élèvent au-dessus du langage, lequel n’est plus alors qu’un piètre balbutiement. Travers que je suis en train de suivre présentement… De toute façon, quoiqu’on dise, il y a chez Bobin comme chez Ponge une « aspiration à reprendre contenance après l’épreuve de l’expression ». Comme dans l’orange. Après une critique, gifle ou caresse, les poèmes restent intacts, ils brillent mêmement.
Peut-être, un dernier mot sur ma lecture des 104 courts chapitres (autant que de vitraux donc): elle fut plus longue qu’à l’accoutumée. Deux cent trois pages, pas la mer à boire pourtant. Mais on ne lit pas Bobin comme du Bonnefoy, on le lit un peu comme le lièvre de la fable qui broute, se repose, s’amuse à toute chose, bref on lève souvent la tête de la page. Plus longtemps que pour la lire. Le texte vous y pousse, chaque paragraphe le réclame. Moins pour batifoler rêveusement que, comme pour l’ultime note de la dernière variation de L’Art de la fugue, laisser résonner en nous ce qui, entre l’émotion et… . . . . . . . . .
Il faut lire.
* La force même de son écriture condamne à la paraphrase.
** « Les œuvres issues du Vide ont une grâce comparable à celle du vent sur un champ de blé. Elles sont le vent, elles sont le champ. Elles ne parlent pas. Elles donnent à voir les cordes d’un silence. » (p. 158) « Le dépouillement consiste à laver la chambre du langage et à jeter l’eau savante par la fenêtre, de manière à ce que ne reste que l’événement du simple. Car c’est un événement. » (p. 174)
La nuit du cœur de Christian Bobin, Gallimard, 2018. LRSP (livre reçu en service de presse)
Voilà un portrait qui relève davantage de la poésie du cœur que de la prose biographique conventionnelle, si informée soit-elle. Poésie du cœur entendue comme miroir d’une vie authentiquement poétique, comme l’est celle de Christian Bobin, dans laquelle chaque geste et chaque action sont éclairés par un sens supérieur.
Il fallait la prose admirative et sobrement empathique de Dominique Pagnier, poète et romancier, pour nous faire pénétrer à pas de loup dans cet arrière-pays, ou plutôt dans le background de l’enfance, dans l’Utergründ de l’œuvre. Pourtant Christian Bobin est un écrivain secret, reclus presque autistiquement dans un monde ouvert à ce qui échappe à la sèche rationalité de nos contemporains. Aujourd’hui, la soixantaine passée, une renommée unanimement acquise en dépit des haussements d’épaules de la poétaille autoproclamée, il livre ses archives, ses manuscrits, ses carnets et ses photographies. Surtout, il les commente de sa main pour faire le lien entre ses sources d’inspiration et son écriture. Au fil des pages surgissent l’enfance au Creusot, les êtres chers, la poésie de Rimbaud ou celle d’Emily Dickinson, Jean Grosjean le père spirituel, la lumière irisée de l’outrenoir de Soulages, la musique de Bach sous les doigts de Glenn Gould ou celle d’Arvo Pärt et ses grands silences, la grâce du sourire évanoui de Ghislaine Marion… Autant d’éclats qui dessinent le portrait d’un auteur qui se livre avec une royale simplicité sous le regard aimant de Lydie Dattas, sa compagne, et de Dominique Pagnier, l’ami poète. C’est en leur compagnie délicate et chuchotante que nous avançons dans ce dévoilement intime sans complaisance ni narcissisme, car l’auto-effacement joue « profil bas ». Dans ce texte bellement illustré, les lecteurs trouveront à travers un parcours de vie dédié à la puissance des mots, une voix refusant de s’intégrer dans l’ordre prosaïque des choses mais porteuse d’espérance, apportant une réponse follement verticale, vexatoirement réelle aux inquiétudes de notre temps.
L’arrière-pays de Christian Bobin: Les êtres, les lieux, les livres qui l’inspirent de Dominique Pagnier, préface de Lydie Dattas, Éditions de L’Iconoclaste, 2018. LRSP (livre reçu en service de presse)
Illustrations: photographie ©Lelorgnonmélancolique – éditions Gallimard / Éditions de L’Iconoclaste.
Prochain billet le 20 novembre.
Merci.
Il y a… longtemps, j’ai écrit à Christian Bobin. Qui m’a bien sûr répondu. Merci aussi de m’en faire souvenir. Car je vais, dans l’instant, m’en aller retrouver ce trésor. Et en faire bon usage. Me reviennent les derniers mots : « ne cessez jamais d’écrire »…
Merci! 🙂
Gros coup de coeur pour moi.
Bizarrement, vous me faites sortir de mon silence ici, cher ami.
Je file à la librairie.
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🙂