2411800757hmorganlettrine2C’est un livre bien singulier que nous propose Benoît Duteurtre avec son Livre pour adultes. Pas seulement à cause du titre en forme de clin d’œil qui ne recouvre rien de leste ou de salace, bien au contraire: sans doute faut-il être un peu adulte, mûri par la vie et ses aléas pour saisir la leçon de sagesse qui émane de ce nouvel opus. Suite qui alterne des récits autobiographiques et des fictions dans le style des comédies dénonciatrices des travers de la modernité auquel nous a habitué l’auteur. Le fil rouge, où plutôt cordon noir, qui relie cet ensemble étant la mort de sa mère des suites de la maladie d’Alzheimer. La perte de celle qui représentait la joie de vivre, incarnait l’attachement inconditionnel aux choses de la vie semble avoir été un choc, un coup de semonce qui a fait vaciller les certitudes du fils admiratif et complice qu’il fut et l’a conduit à ce livre-bilan teinté de mélancolie retenue. Mort de la mère et fin d’un monde, c’est à dire accession à l’âge adulte. L’âge adulte c’est ce moment de vérité où nous prenons conscience de notre finitude, où nous prenons la mesure du temps passé enfui de nous, enfoui en nous et qui fait de chacun un être en sursis. Nous sommes sur la pente, nous glissons inéluctablement vers notre fin, sachant que « quand nous arrivons à la moitié de notre existence, dit Benoît Duteurtre, le balancier s’inverse et la vie antérieure prend plus d’intérêt que le monde à venir ». Un monde d’illusions, fait d’un naïf et authentique bonheur de vivre s’estompe progressivement pour laisser place au vrai décor où « tout finit par se déglinguer ». Des cendres de l’ancien monde renaissent d’autres façons de vivre conditionnées, formatées sous les espèces d’une modernité froide, pragmatique et oublieuse d’elle-même: une campagne qui se modernise sous le poids écrasant du béton et du goudron, des fermes qui se transforment en laboratoires, des normes qui envahissent, tyrannisent notre espace vital, des informations ou rumeurs anxiogènes qui se déploient plus vite grâce aux réseaux de communications, une langue qui se détériore elle aussi, galvaudée, dévalorisée, et pour couronner le tout, un tourisme de masse qui altère et abîme les dernières splendeurs de notre Terre…benoit-duteurtre-livre-pour-adultes
Ces constats Benoît Duteurtre, l’admirateur de Marcel Aymé « l’optimiste désenchanté », les fait sans pathos geignard ou grandiloquent, il les mets en scène avec une gaité sagace et même un humour, un sens de l’autodérision revigorants. Il en dresse le tableau avec l’intelligence et la tendresse de celui qui garde la juste distance critique, sait faire la part des choses: il ose même révéler dans le dernier chapitre (« L’enchantement perpétuel ») et avec un certain courage intempestif, « sa » part de bonheur (se réapproprier les lieux de l’enfance, Etretat, les Vosges, avec un regard approfondi par l’expérience du temps) et ceci, malgré, en dépit de…
Avec ce roman où, entre drôlerie et gravité, les genres se mélangent, les histoires résonnent entre elles, où la vie des protagonistes comme celle du narrateur se fait volontiers miroir de la nôtre, jamais peut-être, Benoît Duteurtre, ne nous avait donné un texte aussi juste, aussi proche de la vie telle qu’elle est, dans sa simple grandeur et sa somptueuse prodigalité.

Livre pour adultes de Benoît Duteurtre, Gallimard, 2016.

Extrait du chapitre III, « Les familles à marée basse« .

Illustration: Sempé / Éditions Gallimard.

  1. Serge says:

    Donc, la vie vaut-elle d’être vécue? Possible sujet du bac philo 2017.
    La nature est farceuse; la nécessaire vie sexuelle peut si l’on est distrait entraîner la reproduction.
    Pourquoi les gens les plus pauvres font-ils le plus d’enfants alors que leur vie pénible devrait leur ouvrir les yeux sur les conséquences de cette frénésie reproductive?
    A titre personnel mes enfants sont l’un de mes rares sujets de satisfaction.
    N’oubliez pas la délicieuse émission de radio consacrée à l’opérette de Benoît Duteurtre le dimanche matin sur France Musique.
    Voilà, c’ était en vrac et dans le désordre quelques réflexions inspirées par votre billet.

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Patrick Corneau