15063676-finkielkraut-face-ferli14La soirée du 16 avril aura fait tomber les voiles sur « Nuit debout ». Nous avions été bercés par les sirènes mélodieuses des médias qui nous avaient conté fleurette sur la candeur, l’inventivité de ce mouvement spontané. Las! Il a suffi qu’un vieux soixante-huitard redescendu sur terre, Alain Finkielkraut, qui plus est horresco referens académicien! déambule en voisin dans cette zone de plein droit et s’y fasse violemment chasser sous les huées, les injures les plus odieuses pour que nos yeux soient dessillés. Nous découvrons alors que la place de la République qui se veut une plate-forme de démocratie directe où chacun s’exprimerait, sans hiérarchie et sans préjugés est en fait un espace de parole très marqué idéologiquement: anti-libéral, anti-partis, anti-élites et même antisioniste (nouveau visage de l’antisémitisme). Les « nuitdeboutistes » sont un rassemblement composite où l’on trouve outre les anti-loi El Khomri, disons, une ligne marxo-trotkyste Varoufákis-Mélenchon, un front ATTAC / Système d’échange local (ou Sel), une nébuleuse écolo-panier-bio-AMAP, plus les habituels électrons libres issus du vieux fond anarcho-libertaire parisien. Ah, j’allais oublier: une poignée de casseurs pour donner un peu de tonus à tout cela et motiver les larmes de crocodiles des édiles. Dans cette « agora » – très sélective comme l’a fait remarquer Alain Finkielkraut – les bobos du Canal Saint-Martin refont le monde, mais dans l’ENTRE-SOI! Entre deux tafs, ces mutins de Panurge (P. Muray) se caressent mutuellement dans le sens du poil, se confortent dans leur bienpensance et haro sur le vilain baudet qui sort des rangs! La gentrification fonctionne aussi dans le monde politique: on crée des petits ghettos où l’on pratique bien au chaud un « soimêmisme » de bon aloi… Il va de soi qu’en dehors de ce périmètre idéologiquement pur, idyllique, le monde est plein de méchants, autrement dit de réacs. On voit aussi par là que nous sommes dans la droite ligne de l’hidalgoesque Nuit blabla, pardon, Nuit des débats, du samedi 2 avril. D’où le statisme complaisant de la Mairie et de la Préfecture de Paris.
Ainsi va le débat dans notre belle France, terre d’accueil et de tolérance. Il faut dire que l’avant-veille on avait eu au plus haut sommet de l’état une édifiante démonstration de dialogue de sourd citoyen ou de dialogue-citoyen de sourds (comme vous voulez).
« Nuit debout » c’est l’arbre qui cache la forêt, un épiphénomène qui bénéficie d’une couverture médiatique disproportionnée (qu’en a à faire l’arboriculteur au fond du Gard?). Et pour cause! cela permet d’éviter de voir les vraies menaces de l’autre radicalisme: le salafisme et ses zones grises. C’est la petite soupape de sûreté qui rassure le gouvernement, qui permet aux adultes de projeter leurs souvenirs romantiques d’autres printemps contestataires. Symptôme d’une société nostalgique de son passé qui s’accroche à des représentations archaïques.

Illustration: Le Nouvel Observateur.

  1. serge says:

    N’êtes-vous pas sensible à cette jeunesse contestataire, qui vient s’assoir sur la place publique pour refaire le monde, conspuer les puissants et le capital, redonner la parole au peuple? C’est très romantique.
    L’épisode Finkielraut n’est pas du tout surprenant. Le révolutionnaire a toujours été
    violent et intolérant et a rarement donné la parole à de possibles contradicteurs.
    Notre gouvernement socialiste doit être bien embarrassé. Comment les faire partir sans passer pour des vieux cons répressifs.

    1. Avec la très grande force de caractère qu’on lui connaît, François Hollande a jugé « légitime » que la jeunesse « veuille s’exprimer, veuille dire son mot », comme il est « légitime » que le soleil se lève le matin… Le mot « légitime » est un sésame fabuleux dans la bienpensance, c’est un mot magique qui permet d’avaler (et de faire avaler) énormément de couleuvres… 😉

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Patrick Corneau