1869ferli4Avant-hier dans le métro une femme d’âge moyen lisait Par-delà bien et mal du moustachu. Elle n’avait pas « la tête de l’emploi », autrement dit son apparence, plutôt ordinaire, ne « corrélait » pas avec sa lecture. C’est souvent le cas dans le métro où il est difficile d’inférer des goûts, des mondes intérieurs. Devant la « nietzschéenne » se tenait un trio: mère, grand-mère, enfant. Ce dernier, très agité, du genre « intenable ». Soudain le bambin se mit à fixer la couverture du livre (poche Garnier-Flammarion) et devint muet, figé. La sagesse philosophique (même intempestive) aurait-elle des effets contaminants?9782081347762
J’ai toujours été intrigué par les lecteurs métropolitains, je ne parle pas des lecteurs de journaux ou, pire, des horribles « gratuits ». Il m’arrive parfois de les photographier à la sauvette, de me contorsionner pour découvrir ce qu’ils lisent. Cette curiosité, Laure Murat la partage et en a fait une enquête dont elle fait le récit dans un petit livre*, drôle, ludique où elle s’efforce de cartographier la lecture souterraine. Même si c’est peu instructif – la lecture restant pleinement un mystère et c’est tant mieux – ses observations sont pertinentes et parfois surprenantes (ainsi des types de lecteurs et lectures selon la ligne et l’heure) sur ces corps penchés, physiquement présents tout en étant « retirés » dans un ailleurs virtuel merveilleusement privé, extraordinairement intime.
Comme le constate (je ne sais s’il faut s’en réjouir) Laure Murat: « la lecture: activité underground« .

Extrait des « conclusions »:
« Je relis mes données. Je calcule. Je chiffre. Je statistique.
Quatre mois à Paris, du 17 février au 17 juin 2013. Résultat? Cent soixante-douze livres. Soit une quarantaine par mois, sur des milliers de passagers croisés, des millions d’usagers. Le tout réduit ou plutôt néantisé par l’aléa et l’arbitraire de mes trajets (j’ai parfois passé six jours de suite sans prendre le métro). Un coup de sonde, sans aucune valeur. Une image brève, volatile.
Cent soixante-douze livres. Une goutte d’eau. Scintillante.
Je trie. Je conjecture. Je calcule. Je réfléchis. Et je conclus, provisoirement.
Le lectorat métropolitain est majoritaire­ment féminin (53%), dans une tranche d’âge moyenne située dans la quarantaine. Il lit des romans, à hauteur de 78%, dont 62% de lit­térature étrangère et 38% de littérature française, contre 22% d’essais. Impossible de départager avec fiabilité les éditions papier des éditions électroniques – faute d’avoir pu dis­tinguer les titres Kindle, la plupart ne figurent pas dans mes listes. Je les estimerais à la louche à 85% papier, 15% électroniques.

Une étude Ipsos MediaCT complétera quelques mois plus tard ces chiffres très ama­teurs. Si l’on excepte les 30% de Français qui n’ont lu aucun livre dans les 12 derniers mois (2013), les 70% restants de Français sont des lecteurs assidus: en moyenne, les sondés ont lu 15 livres au cours des 12 derniers mois (2013). Un lecteur sur quatre est un « grand lecteur » (plus de vingt livres par an). Sans compter que la fréquence est très élevée: 45% d’entre eux affirment lire « tous les jours », 50% « occasionnellement » et 4% « en vacances ». Le lectorat est plutôt fémi­nin (57%) que masculin (43%). Enfin, entre 2011 et 2013, la lecture de livres papier baisse (de 74% à 69%) et, même si la lecture élec­tronique augmente, elle ne compense pas l’écart (de 8% à 11%). Quel que soit le for­mat de lecture, les livres policiers et les livres pratiques sont les plus lus. Chez les jeunes, la science-fiction l’emporte sur les policiers. La conclusion de l’enquête insiste sur le « capi­tal confiance » accordé au livre, supérieur à Internet (voir http://www.sne.fr/a-la-une/etude-sur-les-francais-et-la-lecture.html). »

*Flaubert à la Motte-Piquet, Flammarion, 2015,

Illustrations: ©Lelorgnonmélancolique et Flammarion.

  1. Célestine says:

    Divertissant !
    Je fais souvent la même chose qu’elle, mais dans le TGV.
    Je suppose que les résultats seraient sans doute sensiblement différents, si on les rapporte au prix du billet de transport…
    ¸¸.•*¨*• ☆

    1. Si j’en crois mon expérience du TGV comparée à celle du métro, on est plutôt orienté tablettes, laptop, smartphone, console et tout le saint-frusquin de l’handicapé suréquipé dans le TGV où je vois peu de lecteurs (mais beaucoup de videastes)… Ce qui me rend plus sympathique le métro où le niveau culturel semble nettement « au-dessus » de la moyenne!? Mais c’est Paris…

  2. Voilà, c’est Paris.
    Je vis en province, à défaut de rencontrer des lecteurs anonymes, je regarde ce que les gens mettent dans leur caddie au supermarché dans le village d’à côté.
    Ce n’est pas pareil, mais cependant on peut en tirer aussi des conclusions intéressantes.

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Patrick Corneau