ferli13J’ai toujours plaisir à évoquer cette expérience abominable de l’empereur Frédéric II car elle exprime quelques vérités profondes sur la condition humaine, vérités que l’on n’a cessé de redécouvrir, de confirmer (via les sciences humaines) depuis l’époque lointaine de l’empereur:
« Il arrive aussi que, sous la plume du chroniqueur, un fait réel confine à l’apologue. Par exemple, Salimbene s’occupe des « bizarreries de l’empereurFederico_b Frédéric II, qui étaient au nombre de sept ». La deuxième « bizarrerie » consistait en ce que l’empereur voulût vérifier quelle langue parleraient les enfants qui, à la naissance et quelque temps après, n’entendraient pas le langage humain. Il ordonna donc à des nourrices de leur donner à manger, de les baigner, de changer leurs langes, de les vêtir et de les installer pour dormir, sans jamais leur adresser la parole. Voici la vérité qu’il comptait découvrir de cette façon: les enfants parleront-ils spontanément en hébreu, qui était la première langue de l’humanité, ou en grec, en latin, en arabe, ou dans la langue de leurs parents? Il s’était donné du mal pour rien, car les enfants commencèrent à mourir un à un; enfin ils moururent tous. « Car la vérité, c’est que les enfants ne peuvent vivre sans la parole, sans le sourire et les caresses de leurs nourrices. » La vie humaine est une vie du Verbe et par le Verbe. »
Gustaw Herling, Les perles de Vermeer, Journal écrit la nuit (1986-1992), Seuil, 1999.

Illustration: ©2002 Carlo Fornari e Alberto Gentile.

  1. Célestine says:

    Une expérience cruelle mais tellement éclairante sur notre rapport au langage…
    encore qu’il faille nuancer l’expérience: si les nourrices avaient effectivement parlé aux enfants, mais en ne leur disant que des méchancetés ou des horreurs, combien auraient survécu? Certains mots peuvent tuer plus facilement qu’une flèche empoisonnée…
    Bien à vous cher lorgnon
    Votre blog est une source de réflexion réjouissante
    ¸¸.•*¨*• ☆

  2. Célestine says:

    Tue plus fort, sans doute, mais au final, le résultat est hélas le même …
    Vivent les mots, donc, et les vôtres sont extrêmement pertinents, c’est un plaisir.
    ¸¸.•*¨*• ☆

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Patrick Corneau