« C’est que je me défie de la défense de nos valeurs: un certain mode de défense aveugle nous coupe non seulement du passé – et Rousseau, d’un coup, devient illisible -, mais de nous-mêmes, en rendant incompréhensibles ou coupables des pratiques extrêmement courantes. Faire des crêpes devient un signe de servitude volontaire. Or, si je fais des crêpes, ce n’est pas forcément que je veuille en manger, ce n’est pas non plus que je sois aliénée: c’est que je ne veux pas d’un monde sans crêpes. La division du travail au sein du foyer est l’affaire de ce foyer. Elle est l’objet d’une négociation interne qui ne doit pas être sous le coup d’une injonction d’égalité, ni placée sous la surveillance de la sociologie, fût-elle féministe et bien intentionnée. »
Le goût de la vie commune, Claude Habib, Flammarion, 2014.
Voilà un livre rare, un livre qui n’a rien à voir avec les loukoums de la pop’philosophie, ni avec les bouées de secours de « l’auto-aide » ou de « l’épanouissement personnel »*, c’est un essai littéraire, un vrai! Un essai qui va à contre-courant de ce fleuve impétueux et irrésistible qu’est la bien-pensance. Claude Habib démolit avec humour, finesse, intelligence tous les poncifs que l’on nous a serinés sur l’autonomie, l’individualisme, la familiarité, l’intimité, la solitude, l’ennui, etc. Toutes les valeurs de la soi-disant modernité sont discutées, analysées avec une rigueur (Claude Habib n’est pas dix-huitièmiste pour rien), une alacrité, un courage réjouissants: les faux-semblants du consumérisme débridé tombent, les mensonges de la « doxa » féministe sont révélés dans leur splendide inanité. Sur l’attachement, on ne pouvait faire livre plus attachant. Un essai-éloge de la vie à deux (« l’occasion du souci, de la prévoyance à court terme et de la bonté quotidienne ») aussi pétillant que réconfortant qui, je l’espère, trouvera le plus vaste public (mais quel couple a envie, aujourd’hui, de se voir tel qu’il est – ou plutôt n’est pas – dans la glace?). Salubre, revigorant, bref, un must « pour tous » (pour « conjugo » et « électrons libres »)!
*Néanmoins quelle conseillère conjugale talentueuse ferait Claude Habib si elle se risquait de ce côté là!
[Claude Habib est l’invitée de l’émission d’Alain Finkielkraut « Répliques »: Quel est le goût de la vie à deux? le 22.03.2014 à 09:07]
Illustration: photographie©Lelorgnonmélancolique
Merci pour cette critique. J’ai déjà l’eau à la bouche 😉
🙂
Merci Michel!
🙂
Je l’avais écouté avec plaisir lors de son passage récent dans Répliques. Son discours me parlait et je m’étais dit : Enfin !