« Quelques-uns de mes amis ou relations devinrent successeurs des apôtres. Je m’écartai peu de temps après. Non par décision mais faute de langage commun.
Les hommes qui deviennent évêques sont généralement intelligents et sensibles. Certes le caractère, c’est-à-dire le mauvais caractère, n’est guère prisé et ne prédispose pas à la vocation. Mais ils ne sont ni meilleurs ni pires que d’autres. Avant leur « élévation » ils sont souvent sévères à l’égard de l’épiscopat ou apitoyés. Or à peine promus ils tombent dans l’insignifiance. Après quelques éclats leur parole devient diplomatique. Visant tout le monde elle n’atteint plus personne.
Réunis pour prévoir, à la manière des chefs d’entreprise, ils semblent se neutraliser. Leurs textes sont mentaux, la résultante de compromis, c’est-à-dire des produits raisonnables qui livrent peut-être une vérité, mais sans racines dans la chair, morte, mortifère.
Cela vient. Je vais dire une chose qui me blesse le premier. L’évêque à peine nommé — il l’a voulu d’un grand désir, car il est faux de dire que l’ambition soit éteinte, et nul ne parvient sans l’avoir voulu, presque personne du moins — à peine nommé, il cesse d’être fraternel, dans le temps même que la fraternité s’épanouit sur son visage et dans ses mains. La bienveillance l’emplit en même temps que ses épaules plient sous le poids du monde et qu’il est submergé d’angoisses apostoliques. Le vocabulaire devient stéréotypé, volontaire. Sa voix cherche les passages cloutés. »
Jean Sulivan, « Successeurs des apôtres » in Itinéraire spirituel, Folio Essais, Gallimard, 1976.

Remplacez « évêque » par « Président de la République » (ou « député », « sénateur »…), « épiscopat » par « électorat », « apostoliques » par « politiques » et vous aurez une juste vue de la France contemporaine.

Illustration: photographie ©Lelorgnonmélancolique.

  1. Louise Blau says:

    et la lumière, plein pot (tant de lux) , ne nous parvient guère : il y a d’ailleurs comme un contresens à vouloir éclairer un vitrail de l’intérieur, même pour mettre en surbrillance les dorures de l’autel…

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Patrick Corneau