« La mélancolie est un fort bel état d’âme. J’y succombe très volontiers et très aisément. Peu ou pas à la campagne, où je travaille, mais instantanément en ville. A mes yeux, rien de plus beau que Vienne et la mélancolie qui est et a toujours été la mienne à la ville… Ce sont les gens que j’y connais depuis vingt ans, qui sont la mélancolie… Ce sont les rues de Vienne. C’est l’atmosphère de cette ville d’étude, tout naturellement. Ce sont toujours les mêmes phrases que les gens me disent là- bas, probablement les mêmes que je dis à ces gens, l’ensemble conditionne un merveilleux état de mélancolie. Je reste assis durant des heures dans un parc ou un café. Mélancolie. Ce sont les jeunes écrivains qui ne sont plus jeunes, qui appartiennent à mon passé. On remarque soudain: en voilà un qui n’a plus rien d’un jeune homme; il se donne comme tel – ainsi que je le fais probablement moi-même – mais, pas plus que lui, je ne suis resté jeune. Et cela se renforce avec le temps, mais cela devient fort beau. » Thomas Bernhard, Ténèbres, Maurice Nadeau Editeur, 1998.

[Dans un revigorant petit essai (La secrète mélancolie des marionnettes, Onze commentaires sur l’œuvre de Thomas Bernhard), Denis Grozdanovitch a montré que la mélancolie est le « trait de caractère primordial qui sous-tend la mentalité bernhardienne », une mélancolie « esthétisante très Mitteleuropa, garante d’un sombre bonheur de délectation morbide tel que savent si bien l’aménager les poètes romantiques (une fois que l’orage de leur exacerbation est subitement retombé et que leur amertume accusatrice s’est muée en simple tristesse ontologique irrémédiable) ».]

Illustration: photographie de Thomas Bernhard par Joseph Gallus Rittenberg

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Patrick Corneau