I

Instruction, enseignement et connaissance

Par le « grand anarchiste spirituel »* que fut Remy de Gourmont, une vision subversive (et toujours actuelle) de l’instruction républicaine et du savoir académique qui ne manquera pas de heurter la bienséance pédagogique et la bien-pensance politique (surtout l’avant-dernière phrase!):
« … un seul terme [la] résuma: l’abstraction. On a fini par admettre dans les milieux enseignants que la vie ne peut être connue que sous la forme du discours. Qu’il s’agisse de poésie ou de géographie, la méthode est la même: une dissertation qui résume le sujet et qui a la prétention de le représenter. Finalement l’instruction est devenue un catalogue méthodique de mots, et la classification remplace la connaissance.
Un homme le plus intelligent et le plus actif ne peut acquérir qu’un fort petit nombre de notions directes et précises; ce sont cependant les seules qui soient vraiment profondes.
L’enseignement ne donne que l’instruction; la vie donne la connaissance. L’instruction a au moins cet avantage d’être de la connaissance généralisée, sublimée, et pouvant contenir, sous un petit volume, une grande quantité de notions; mais dans la plupart des esprits, cette nourriture trop condensée reste neutre et ne fermente pas. Ce que l’on appelle la culture générale n’est le plus souvent qu’un ensemble d’acquisitions mnémoniques, purement abstraites et dont l’intelligence est incapable de faire la projection sur le plan de la réalité. Sans une imagination très vivante et active dans tous les sens, les notions confiées à la mémoire se dessèchent dans un sol iner­te; l’eau qui les amollit et le soleil qui les mûrit sont nécessai­res à la germination des graines.
Il vaut mieux ignorer que de savoir mal, ou peu, ce qui est la même chose. Mais sait-on ce que c’est que l’ignorance? »
Remy de Gourmont, « La valeur de l’instruction » dans Le Chemin de velours, 1902.

* selon John Cowper Powys

Illustration: origine inconnue

  1. Rodrigue says:

    Parfois il semble qu’il vaut effectivement mieux être ignorant qu’avoir un esprit faux ou faussé. Un esprit faux se diagnostique par l’impossibilité de faire la moindre synthèse sur n’importe quel sujet. Le chaos intérieur peut gâter les meilleures intentions. Un esprit sans ordre mélange causes et effets, prend des facteurs infimes pour prépondérants, s’emmèle les pieds dès qu’il manie les statistiques. Un esprit bien formé ne sait qu’une chose: s’informer au maximum qu’il est possible, et se faire une idée après avoir entendu les avis les plus contradictoires. Enfin un esprit bien formé sait qu’il n’a pas fini d’apprendre, et qu’il est faillible, et que les autres n’auront jamais fini de lui apporter contradiction et connaissance.

  2. k.role says:

    je lis comme j’aime, dans l’oubli profond… je lis comme je m’enivre. alors je ne sais rien. je ne retiens rien, :-§

    1. PPL says:

      Je ne sais pas si j’existe mais je sais que je fonctionne. Il est d’ailleurs possible de visualiser l’activité de nos neurones alors que nous agissons (faire, décider). Le résultat de mon action peut se concrétiser dans une « œuvre » observable par d’autres.

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Patrick Corneau