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Le contesté et très contestable débat prévu aujourd’hui, 5 avril, par l’UMP, « Laïcité : pour mieux vivre ensemble »(?!), même si l’on a justement dénoncé son opportunisme électoral, vient de loin. Un passionnant article de Mondher Kilani* paru dans la revue Esprit du mois de février rappelle que c’est une tradition (voire une obsession) de la pensée occidentale que de faire de la religion LA catégorie culturelle d’interprétation de l’autre:
« (…) La religion apparaît dans cette perspective comme une catégorie autoritaire d’interprétation de l’autre. L’Occident a intérêt à retrouver ailleurs la religion qu’il a érigée en catégorie universelle. Une telle extension lui permet d’assurer en grande partie son hégémonie sur le monde. Un monde privé de cette idée serait un monde moins pen­sable, donc moins maîtrisable. Même ‘sécularisé’, L’Occident a continué à se référer à cette catégorie pour appréhender et pour déclasser les autres cultures. La religion lui a permis de présenter ces cultures comme des univers en retard, des espaces clos de croyances dont il s’est lui-même affranchi, à l’exception de quelques franges superstitieuses de sa population que la Réforme et la Contre-Réforme et, plus tard, le siècle des Lumières et le scientisme des XIXe et XXe siècles se chargeront de réduire progressivement.
La persistance de la catégorie ‘religion’ dans le discours, même le plus laïque, s’explique par le fait qu’elle a fourni et continue à fournir à la pensée occidentale un cadre intellectuel pour traduire les cultures. Au même titre que pour les Espagnols du XVIe siècle, dont les catégories de ‘religion’ et d »idolâtrie’ permettaient de rendre compte des sociétés qu’ils approchaient et soumettaient, les modernes continuent de privilégier la religion comme vecteur de compréhension de l’humanité aussi bien dans son universalité que dans sa diversité. Dans les deux cas, la catégorie de ‘religion’ est une catégorie partisane. En l’universalisant, les Espagnols en ont déploré l’absence ou l’imperfection chez les sauvages et les non-chrétiens. Quant à la pensée scientifique, l’universalisme de la religion lui a permis de distinguer entre les sociétés qui seraient sorties du religieux, comme dans le cas de la société occidentale, et celles qui y seraient toujours plongées. Une telle vulgate ne mit pas longtemps pour sortir du discours scientifique et constituer le sens commun occidental vis-à-vis des autres cultures et civilisations qu’il crédite d’un fort ‘esprit religieux' ».

Pour Mondher Kilani, « On ne peut pas dire qu’il y a eu en Europe de réelle « sortie du religieux ». La sécularisation n’échappe toujours pas, mal­gré les efforts consentis depuis plusieurs siècles, à l’imaginaire reli­gieux qui continue d’imprégner les esprits. La « sortie du religieux » n’a en rien diminué la force de la religion comme facteur imaginaire présidant à la perception de soi et de l‘autre. La sécularisation n’a en rien affaibli l’identification des groupes et des sociétés en termes religieux. La religion demeure un langage par lequel on continue à se présenter et à présenter l’autre, surtout en situation de crise ou de conflit, confirmant ainsi la thèse, défendue ici, selon laquelle la reli­gion dans l’espace public est d’abord une forme d’identification plu­tôt qu’un contenu doctrinal. »
Mondher Kilani, « La religion dans la sphère civile – Une critique du ‘désenchantement' », Esprit, février 2011.

*Professeur  d’anthropologie  à  l’université  de  Lausanne,  auteur  notamment  de  Guerre  et sacrifice, Paris, PUF, 2006 et d’Anthropologie. Du local au global, Paris, Armand Colin, 2009.

Illustration: photographie de Steven Siewert.

  1. lignesbleues says:

    au demeurant, plutôt sympathique la photo. Je ne pense pas que vous en soyez l’auteur, Lorgnon ? A moins qu’à défaut de hakik, vous n’ayez fumé de l’opium (:-)
    pardon quand on rit de ses propres blagues, on tombe bien bas (du ciel).
    bonne journée mon bon Monsieur

  2. luestan says:

    Il me semble que MK a commis une erreur de perspective. Ce n’est pas la pensée occidentale qui a fait de la religion une « catégorie autoritaire d’interprétation de l’autre ». Je crois que c’est le propre de toute pensée religieuse, occidentale ou non. La pensée occidentale, dans la mesure où elle sort du religieux, se donne d’autres moyens de perception de soi et des autres. MK vit, travaille, pense et publie… en Occident.

    Oui, je suis d’accord avec vous. 🙂

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Patrick Corneau