On dit que la foi peut soulever des montagnes, elle peut aussi avoir raison du marbre…
« Le père Fermi ignorait ces problèmes. Il nous raconta avec sérénité l’extase qui l’avait saisi lorsque le père-abbé l’avait autorisé à entreprendre le pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. II avait eu alors une vision, celle de la colonne, dans le narthex de la cathédrale, où depuis tant de siècles les pèlerins venaient s’appuyer à l’issue d’un voyage, long bien souvent de plusieurs mois : à cet endroit, dans le marbre poli, l’usure du frottement avait creusé une main en négatif. (…) J’avais mentionné ce détail sans m’y attarder, mais lui en faisait littéralement du théâtre : comment concevoir, disait-il, qu’une main appuyée contre le marbre d’une colonne, en détache et en emporte une particule infime, microscopique, invisible, et que tant de mains, au long de tant de siècles, par la simple répétition du même geste, aient pu sculpter dans la pierre une main justement absente ? Combien de temps faudrait-il pour obtenir, seul, le même résultat ? Peut-être bien vingt siècles ! Je savais de quoi il parlait car j’avais, moi aussi, mis ma main dans cette main négative. »
Cees Noteboom, L’histoire suivante, Folio 3392, Gallimard, 2000.
Illustrations: origine inconnue