aureliafrey.1270371669.JPG« La campagne française comble de joie l’économiste impénitent. Richesse de la terre, incomparable fécondité du sol, et surtout admirable et minutieuse culture du terrain, qui ne laisse pas se perdre le plus petit recoin. Ce spectacle m’accable. Malgré la beauté et la diversité dont la nature a doté ces paysages, l’homme a su leur imposer une monotonie énervante. Les rectangles implacables des différentes cultures se succèdent docilement et s’étendent jusqu’à l’horizon. Les arbres alignés se cachent les uns derrière les autres, à égale distance, et font défiler leurs rangs au passage de l’automobile, avec un geste précis et mécanique de gymnaste. Si, tout à coup, nous trouvons un petit bois, il n’est pas difficile de deviner quel rôle pratique remplit cet apparent morceau de liberté oublié sur un sol soumis. Et les vignobles, les vignobles aux mystiques sarments, qui ont fini par envahir le paysage de leur sévérité industrielle.  Bientôt nous éprouvons le désir d’une pièce de terre stérile et libre, d’une terre préservée du labeur humain.
Cette campagne française fait pitié. Terre soumise et servile. Nature que l’homme a asservie. Sol dompté, incapable de se révolter, plus semblable à une usine alimentaire qu’à la campagne rustique et sacrée que l’homme habitait jadis. La richesse de la Pomone mythique se transforme en un immense entrepôt de grains et de légumes. La campagne de France n’est pas un jardin, c’est un potager. Devant ce gigantesque déploiement d’aliments, je ne rêve que de landes stériles, de pitons glacés, de la tiède forêt de mes rivières andines.
Je ne sais d’où me vient cette répulsion. Sobriété innée, goût d’une certaine austérité janséniste, ou modération inévitable d’un ressortissant de pays pauvre? »

Extrait de Notas (p.185-186), 1954, Nicolas Gomez Davila (traduction de Philippe Billé/Le Nouvel Obscurantiste).

ferli1.1270371607.jpgEvidemment, ce regard porté sur nos terroirs date de bien avant la création du Salon de l’Agriculture.

Illustration: photographie de Aurélia Frey

  1. Rodrigue says:

    Si l’on est effectivement touché par l’utilitarisme appliqué à la nature, que dire du sort que l’on a fait au paysan, cet ancien artisan si indépendant, si était si fier d’être maitre chez lui, et capable non seulement de se nourrir mais de nourrir les autres ! Qu’est-il devenu: un forçat qui maintenant est parfois obligé de manger à la soupe populaire…

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Patrick Corneau