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Moeurs des gensdelettres (suite sans fin)

hmorganlettrine2.1236595616.jpg545894.1236596353.jpgBalzac accusait Hugo d’utiliser des journalistes à sa botte pour l’éreinter. Hugo détestait Lamartine dont il jalousait le succès et qu’il appelait « le grand dadais », ajoutant: « Et d’abord, si Lamartine était un homme il se serait appelé Lemartin. » Il est vrai que le même Lamartine, qui vendait ses fonds de tiroir pour gagner de l’argent, deviendra la risée de ses pairs, quant à Hugo, il se brouillera avec Dumas pour une sombre histoire de rivalité théâtrale. Les Goncourt criaient au plagiat perpétuel: Flaubert aurait copié leur usage de l’imparfait, Zola leur avait volé le sujet de leurs livres… Bien avant Proust, le pauvre Sainte-Beuve n’a jamais été en odeur de sainteté si l’on peut dire: celui que Musset appelait « Sainte-Bévue » et Victor Hugo « Sainte-Bave » a tout de même préféré la Fanny de Feydeau à Madame Bovary et les poésies de Banville à celles de Baudelaire… Au milieu de ce pugilat où Léon Bloy tire à boulets rouges sur tout ce qui bouge, Jules Renard, lui, confesse: « le succès des autres me gêne, mais beaucoup moins que s’il était mérité. »
De son camarade de jeunesse qui ne cessait de le dénigrer, Paul Valery disait: « Il n’est pas méchant, Léautaud, il est mauvais. » Filant la métaphore ecclésiastique, Marguerite Duras disait que Georges Bataille lui faisait penser à un curé malade et Sollers au moine du fromage Chaussée aux moines…

Ces haines sont consternantes de la part de « beaux esprits », mais leurs fulgurances sont parfois savoureuses et la liste en est sans fin.

René Girard, dans un texte remarquable*, avait analysé les ressorts de cette rivalité mimétique: « (…) La plupart des intellectuels prétendent bien entendu ne rivaliser avec personne; tout au plus se soucient-ils d’exceller dans leurs domaines respectifs. L’esprit de concurrence ne concerne que les autres. Tous pourtant ont conscience que l’obstacle le plus insignifiant en apparence peut engendrer une terrible amertume. Le monde intellectuel étant dépourvu de hiérarchie et donc privé de critères objectifs, chacun y est fatalement soumis au jugement indirect de ses pairs, le nombre de personnes sujettes aux affections paranoïaques y est considérable. »

Le monde universitaire n’est pas en reste dans ces mesquineries où la pire nouvelle reçue est toujours celle de l’ami, collègue qui vient vous faire part de sa dernière publication… Selon la sociologue Nathalie Heinich: « Chez les intellectuels, la paranoïa est une sorte de maladie professionnelle. » On ne peut mieux dire.

* »Le surhomme dans le souterrain, les stratégies de la folie: Nietzsche, Wagner et Dostoïevski », Esprit, 1995, n° 212, pp. 5-28.

  1. gballand says:

    J’ai pris beaucoup de plaisir à lire votre billet. Sûrement parce que la « cruauté » des gens de lettre ou des universitaires me rassure sur la mienne… il y a donc pire…

    Hé oui, l’herbe est toujours plus sèche ailleurs… 😉

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Patrick Corneau