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La mer déploie ses bleus chromos où de belles baigneuses avancent en chaloupant leur corps. Le sable blanc fait chanceler les têtes. Prague est bien loin et il est difficile de croire qu’ici c’est l’hiver. Monsieur K. sirote son eau de coco, vaguement perplexe devant tant de splendeurs offertes. Allongé sur une banquette de plastique blanc, sous un panama trop grand, il s’interroge sur les raisons qui l’ont amené au sud de l’équinoxe où tout n’est que luxe, calme et…innocence. Il repense à la descente d’avion, la bouffée de chaleur suffocante sur la passerelle, le chapeau de paille offert dans l’aérogare par les jeunes filles de la Délégation au Tourisme, la simplicité de leurs sourires, la route poussiéreuse et cahotante vers « Beach Park » – le plus grand complexe aquatique du Nord-Est brésilien, où on lui a garanti les plus fortes sensations.

Avant de goûter à ces plaisirs tarifés, Monsieur K. a décidé de profiter de la plage qui borde le complexe. Après avoir circulé dans un dédale de chemins impeccablement dallés entre bars, boutiques, parterres gazonnés plantés d’hibiscus et de jacarandas, il accède à la mer. Immédiatement pris en charge par des serveurs coiffés de chapeaux rouges en forme de crabe du plus ridicule effet, il est dirigé vers une paillote semblable à des dizaines d’autres, qu’il a choisie un peu en retrait – la mer est toujours un peu dangereuse, n’est-ce pas?

Tandis qu’un vent tiède et régulier baigne son visage, Monsieur K. contemple la mer. Bercé par le ressac, son esprit se perd dans l’immensité. Le soleil tourne dans le clair après-midi et la pénombre des branches couvre Monsieur K. qui sommeille au fond de lui-même. Peut-être rêve-t-il au rire « sans poumon » d’Odradek? Autour de lui, il y a les cris lointains des vacanciers, la basse continue du ressac, l’odeur du sel.

Subitement toute la cocoteraie semble broyée par les instants plus pressés de la journée finissante. Comme prise dans un bourdonnement d’insectes et d’oiseaux. D’où vient le semi-rêve qui l’environne? Tout est étrange, trop suave, trop réel. Un craquement léger le fait tressaillir, il lève la tête rapidement. Rien ne semble avoir bougé. Inquiet, il observe le cocotier qui le surplombe; le faîte de l’arbre vacille doucement dans le ciel, quatre grosse noix vertes menaçantes collées contre le tronc. Loin dans le ciel un charognard écrit d’absurdes cercles concentriques. Bizarrement, il a l’impression d’être la victime d’une machination. C’est un vertige, quelque chose que l’on ne peut pas cerner. Il se fait dans ce paradis un travail secret qu’il commence à percevoir. Le temple commence à se fissurer…

Chassée il y a fort longtemps du Jardin d’Eden, la vieille humanité a du subir les vicissitudes de l’Histoire. Réenchantée à coups d’outre-mondes numériques, de Disneyland, et autres Center Parc, la nouvelle humanité rentre dans son jardin édénique comme dans une terre promise. Bienvenue dans nos nouveaux parcs d’abstractions!

Illustration: photographie ©Lelorgnonmélancolique

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Patrick Corneau