Je n’ai aucun penchant pour les exercices de psychologie en chambre. Et si j’en avais un, l’exemple de la presse ad hoc et les piles de livres des rayons d’auto-aide, communication, épanouissement personnel, etc. des librairies me guérirait radicalement. Sous couvert d’un « travail sur soi », des sagesses soldées sous le label « New age » se proposent de transformer le plomb de vos frustrations en l’or de la liberté et de la légèreté. Pour ma part, la seule qualité que sans conteste je reconnaisse aux gens est leur indifférence*, qui constitue non seulement la politesse suprême, mais aussi une garantie de sécurité et de tranquillité. Le prétendu drame de l’incommunicabilité ne m’a jamais désolé et, pareillement, la pensée que deux personnes puissent vivre ensemble sans qu’aucune ne comprenne rien à ce qui se passe d’essentiel dans l’âme de l’autre, la pensée de cette solitude impénétrable à laquelle nous condamne notre nature, loin de m’attrister, me réjouit. Elle satisfait en moi la vieille nostalgie d’une ignorance saine, solide et sûre, seule certitude durable en ce monde où les « vérités » sont instables et facteurs de risques ou de désordres. Ignorer sincèrement, voilà le commencement de la paix de l’esprit et du salut de l’âme. Je l’affirme sans ironie, tout au plus avec un peu d’exagération, à seule fin de désapprouver plus sévèrement l’empire et l’emprise de la psychologie naïve (folk psychology), son désir enragé d’explication et de « transparence ». On pensera ce qu’on voudra, la liberté humaine est dans la distance, dans le quant-à-soi. Entre la vie des autres et moi, entre le spectacle du monde et moi il y a une frange d’obscurité et une de lumière. Je les garde intactes, sans nourrir ce sentiment envahissant, pour ne pas dire invasif, et irréfléchi qu’on appelle curiosité. Pour une vie, cela suffit…
* « La sérénité, c’est l’indifférence. Tout le reste est vulgaire. » Jacques Chardonne, Propos comme ça.
Illustration: « Curiosity », photographie de Wojciech Wojcik