joanna-kustra.1210084575.jpgDans l’une des dernières nouvelles de Scott Fitzgerald, La décennie perdue, quelqu’un demande à un écrivain: « Qu’est-ce qui vous intéresse par-dessus tout ? Eh bien, répond l’écrivain, la nuque des gens. Leur cou, la façon dont leur tête s’unit à leur corps. J’aimerais entendre ce que ces deux fillettes disent à leur père. Non pas exactement ce qu’elles disent, mais si les mots flottent ou sombrent, la façon dont leur bouche se ferme quand elles ont fini de parler. C’est seulement une question de rythme. (…) Le poids des petites cuillères, si légères. Une coupelle avec un bâtonnet. Le regard dans l’œil de ce serveur… je veux simplement voir comment les gens marchent et de quoi sont faits leurs vêtements, leurs chaussures et leurs chapeaux. Et leurs yeux et leurs mains. »
Cette poussière de choses et de sensations forme le moment. Bien qu’il semble singulier, éphémère, le moment survient lorsque soudain une qualité érotique, ou plutôt, l’éros envahit toutes choses, devient atmosphère, lumière, paroles, poussière.
Dans des carnets, des cahiers, des albums photos, des blogs (!), nous faisons collection de moments. Nous ne voulons pas archiver les choses, mais réévoquer le parfum du temps, la couleur du moment qui passe. Certains de ces moments semblent renfermer le bonheur, qui donne aux choses une couleur ou un timbre uniques. Il n’est pas certain que l’éphémère ne soit que ce qu’il semble être. Il révèle parfois quelque chose en plus, un au-delà qui provient d’on ne sait où: quelque chose qui se trouve à la fois dans l’instant et hors de lui. Pour retrouver ce frisson sensuel, ce « je-ne-sais-quoi » qui émanait de « la chaude folie de quatre heures de l’après-midi », pour peindre au plus près cette mosaïque aux liaisons mystérieuses entrevue subrepticement, nous serions prêts à nous damner…

Illustration: photomontage ©Lelorgonmélancolique

  1. Danalia says:

    Oui, capter l’éphémère, non pas pour l’emprisonner, mais pour ne pas l’oublier.
    Le texte d’un de mes collages : « Fragile comme une empreinte d’éternité sur le sable de l’instant » traduit exactement mon sentiment ; lorsque je l’éprouve, je suis aussi confrontée à ma condition d’être mortel, qui ne fait que passer…

  2. c’est exprimé autrement – et mieux !- par Fitzgerald, mais c’est ce que j’appelle moi la contemplation des détails, les détails, ces infimes détails si légers et qui semblent si insignifiants que relate le personnage qui me donnent la réalité et l’intensité du moment, qui me disent que j’existe et que je vis ce moment, qu’il me fait vibrer. Le reste, peu importe, par ex ce qui se dit.

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Patrick Corneau