Tout le monde a eu dans sa vie l’expérience concrète, palpable d’une expérience émotive inattendue dont l’ampleur, la radicalité ne cesse de vibrer à travers ses pas et gestes les plus actuels. Catastrophe ou grâce, on doit s’en arranger et l’évoquer est difficile puisque que l’on qualifie ce qu’on a ressenti et non ce qui est vraiment venu au-devant de vous, se trouve là, s’est saisi d’un bout de vous-même. Si l’on tente un éclaircissement, les mots traduisent une infinie maladresse et deviennent immanquablement une pauvre caricature. Le sujet, comme dit Stendhal, surpasse le disant. Et pourtant le fait est là, irrémédiable, sans explication, comme l’amour dans sa soudaine évidence apparaît et transfigure une vie. L’expérience de la beauté, toujours violente, est de cet ordre. Privilège dont l’ombre portée pèse. Dont on n’est pas sûr de se remettre tout à fait, ni même que cela soit possible. Comme l’a écrit Wittgenstein – dans un tout autre propos certes, il faut voir là le résultat de la lutte avec le langage: ce qui se reflète dans la langue, celle-ci ne peut le figurer (ce qui s’exprime dans le langage, nous ne pouvons l’exprimer par le langage) ou, selon sa célèbre formule: « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire » (Tractatus logico-philosophicus). La conséquence métaphysique de tout cela – et qui n’est pas des moindres – est que le fait de se heurter aux limites de la langue engendre l’illusion (ou l’hypothèse) d’une transcendance. Il y a un haut mur, quelque fenêtre et le rêve que peut-être, un jour, nous sortirons de la caverne pour entrer dans « la chambre des noces »…
Ce billet est dédié à tous les candidats qui, ce jour, ont eu à « éclaircir » les questions de philosophie du Baccalauréat 2008, soit:
– « La perception peut-elle s’éduquer? »
– « L’art transforme-t-il notre conscience du réel? »
– « Est-il plus facile de connaître autrui que de se connaître soi-même? »
Illustration: « Beckoning Door », photographie de Cara Barer.
Et ce qui ne peut être dit doit être tu.
Oui, mais au risque que le corps l’exprime, prenne le relais du non-dit, violemment. Mais c’est sûrement « hors-sujet »!
Très juste: ce que le sujet met « hors » par la porte de l’intellect, revient (violemment) par la fenêtre du corps… 😉
Le véritable exil c’est celui de la langue, à moins « de pêcher maintenant
la langue maléfique de la nuit en son immobile verrition! »comme le poète.
il y a d’autres façons qu’avec des mots, pour dire l’indicible, la peinture par ex, vient au secours des mots vains, la peinture est un langage
Vous avez une drôle de façon d’interpréter Wittgenstein.
je crois que ce qu’il a dit est plutot:
« ce qui ne peut être dit, on peut le montrer » ce qui est tout à fait différent…
« Ce dont on ne peut parler, il faut le taire. » (traduction française de Pierre Klossowski, Gallimard, 1961) Correction introduite dans mon billet.