5152833-kent-b.1209297952.jpgAvant-hier en entrant chez le pharmacien, j’ai été surpris de voir que le comptoir était couvert de boules anti-bruit dont un énorme présentoir de la marque Quiès. La veille, j’avais lu dans la presse que le parc d’iPod a franchi le cap de 150 millions de baladeurs depuis le lancement du premier modèle fin 2001. Je ne peux m’empêcher de rapprocher ces deux observations de la remarque de Peter Handke sur ce que nous faisons des bruits:
« Il est incroyablement difficile aujourd’hui d’écrire – avec les radios (les voitures sont presque supportables encore, et tous les bruits qui passent), avec les machines, les bruits statiques de l’environnement. Ça m’aurait intéressé de savoir ce que d’autres auteurs font du bruit. Ou ne serait-ce qu’avec la sonorité du monde actuel. Je panique chaque fois que je me mets à écrire. Chaque jour est un problème, pour moi, quand je suis pour ainsi dire dans l’épopée. Même ici, où je suis assis, où j’étais assis semaine après semaine, il y a deux ans – chaque matin, je pensais : Mon Dieu… s’ils recommencent à tambouriner là-bas dans la savane… savane? – je ne sais pas : dans le pré, là-bas, si les classes d’écoliers arrivent, si les bûcherons arrivent. – Mais comment font les autres, comment supportent-ils le bruit du monde? A la maison? Prennent-ils – comment ça s’appelle – des boules Quiès? Ce n’est pas bon non plus. Il faut se sentir respirer soi-même, il faut entendre un peu le vent, c’est merveilleux pour écrire, quand je… lève les yeux, ce que le vent amène, ça entre dans les phrases. Ça y entre sans qu’on le veuille. C’est pour ça aussi que mes phrases sont d’une longueur si… pendable, à cause de ce qu’apporte le vent. Je l’assume*. »

La fenêtre est ouverte ce matin et, pour la première fois de la saison, j’entends les cris des hirondelles. Oui, que faisons-nous des bruits de ce monde? De sa rumeur et des sons qui l’enjolivent? Je connais un homme dont la furieuse nostalgie d’un certain son de cloche fit faire sa valise, engendrant un long voyage non prémédité.

* Vive les illusions, Peter Handke/Peter Hamm

Illustration: photographie de Kent B.

  1. ludionlibre says:

    Personellement, j’aurais du mal à écrire ou à décrire un monde que je n’entend plus…
    Je prends de plus en plus de plaisir à vous lire et je vous en remercie.

    Bien amicalement, JPR.

  2. Aujourd’hui, 1er mai, 14 heures passées.
    Il se passe une chose extraordinaire ici, dans les Landes, au lieu-dit le Roumaout. A ce moment précis, l’on n’entend ni la tondeuse autotractée du voisin (un maniaque de l’herbe rase), ni sa tronçonneuse, ni sa débrousailleuse , ni son karcher, ni le moteur diésel d’une de ses trois voitures, ni sa perceuse ; pas de rotations d’hélicoptères militaires, ni de motos cross dans la forêt des deux jeunes imbéciles qui habitent dans le secteur, ni de tracteurs (c’était ce matin à 8 heures), ni de pompes à eau, ni d’engins monstrueux utilisés par de futurs voisins qui « font bâtir » (après avoir massacré tous les chênes magnifiques avec leurs fichues tronçonneuses sur « leur » terrain)…
    A cet instant précis donc, que des bruits humains, un patrimoine sonore intact. Des grillons, des oiseaux, et le bruit des mâchoires du chat qui se bouffe un lézard. Extraordinaire !

    Que ce monent unique (et rare) soit béni! A cet instant, j’aimerais ne pas entendre le ronronnement de la soufflerie du disque dur de mon ordinateur… 😉

Répondre à jehaismesvoisinsAnnuler la réponse.

Patrick Corneau