indien.1208846134.jpgPierre Clastres (Chronique des Indiens Guayaki, 1972) rapporte une coutume pouvant paraître étrange pour un esprit rationnel.
Chaque matin, le chef Guayaki se mettait au centre du village et racontait l’histoire de la tribu. Chacun vaquant à ses occupations, personne ne l’écoutait! Et pourtant il était nécessaire qu’il parle. Les mots anodins, rabâchés, cent fois entendus, devenant paroles magiques assuraient la solidité du lien social. Pour reprendre un lieu commun de la sociologie politique, le chef a une fonction charismatique: il permet que des éléments disparates collent entre eux. Il est, en quelque sorte, le centre de l’union.
Il est amusant de voir revenir, sur le devant de la scène, ces coutumes quelque peu primitives, que la modernité avait crues dépassées mais que la politique spectacle ramène. Notre Small Brother national n’est-il pas cette sorte de totem, ventriloquant des refrains qui sont plus ou moins dans toutes les têtes? Comme le chef Guayaki, il s’agit de prononcer des paroles magiques (l’effet télé, le décorum ou son absence, les paralangages, etc.) dont il importe peu qu’elles soient véritablement suivies d’effet. Ni d’ailleurs entendues, on n’écoute pas, on leur prête au mieux une sorte d’attention flottante qui enrobe, cajole, berce. A défaut de penser on panse les bobos, les plaies… La politique est devenue compassionnelle: vibrer avec le malheur des autres et montrer que l’on sait pouvoir « participer » (saisir un bras, poser la main sur une épaule, bref les postures et le ton de la proximité), donner des gages d’humanité. Que cela soit illusoire importe peu, l’essentiel est d’être efficace: adoucir, réconforter les mille avanies que la vie impose à tous ces plaignants, geignards que nous sommes. La politique désormais passe par le ventre, la mise en scène des émotions, le jeu passionnel, la relation charismatique (cf. l’ambiance christique de Charléty en mai 2007). Et tant pis pour la cacophonie, les « couacs » forcément inhérent à ce type de discours moins rationnel qu’émotionnel. Et peu importe que les promesses se concrétisent, il suffit qu’un chef joue l’antique fonction de la parlerie pour assurer la cohésion sociale. Ainsi va la politique en postmodernité: « good vibes, bad vibes ». Qu’on le veuille ou non, que cela plaise ou pas.

Small Brother Story, saison 1, épisode 2, ce soir sur TF1 ou France2…

Illustration: Indien Guayaki

  1. C’est comme cette phrase admirable de DOSTOIEVSKI
    « Il lisait la bible et ne comprenait rien et c’est pour cela qu’il aimait lire la bible » (les frères KARAMAZOV)
    Je lis régulièrement vos chroniques c’est un régal Merci AA

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Patrick Corneau