Appelons-le Bernard. Bernard est de ceux à qui on le la fait pas, qui ne s’en laisse pas conter et a son franc-parler. Lassé de vendre L’Humanité-Dimanche à l’heure des croissants sur la couette, Bernard est devenu un lecteur acharné du Canard enchaîné. Imprégné d’une sagesse où le désabusement le dispute au sarcasme, il sait tout, ou plutôt connaît les dessous de tout. Aussi est-il revenu de tout. Chaque velléité de réflexion est aspirée par un gouffre béant, une bouffée de néant, un vide vertigineux. A quoi bon tout cela? Bernard professe un ardent (et confortable) relativisme: tout se vaut. Rien n’est ni meilleur ni pire que le reste, puisque de toute façon tout s’achève. Toute conversation se termine immanquablement par de vastes considérations sur le « tout passe, tout lasse, tout casse ». La réplique de Jean-Pierre Marielle dans Le sourire de Claude Miller lui va comme un gant: « Pour te filer le blues, il est un chef d’escadrille ».
Pour Bernard, la littérature ne raconte que des balivernes (« c’est de la littérature… »), comme la télévision – qu’il ne connaît qu’à travers ses marionnettes en latex. Déçu de la politique, celle-ci ne l’intéresse plus que par ses affaires; « tous pourris » est son leitmotiv. Si l’on approche le pouvoir « c’est qu’on n’est pas très clair ». On devine sous ses airs scandalisés, l’envie non avouée pour un régime plus autoritaire. Il suffirait qu’on le pousse un peu pour entendre la énième thèse du complot historique. Qu’une femme le regarde, il prend un air blasé: quoi de plus normal? Et pourquoi pas celle-ci plutôt que celle-là? En fait il ne voit personne, a fortiori pas même cette femme-ci. De toute façon, « la femme a beaucoup changé depuis sa libération » confie-t-il d’un air entendu.
Chaque acquis lui est un dû. C’est un enfant gâté de l’existence, un exténué chronique, un combinard de l’Etre. Nihiliste aux moments opportuns, et gonflé de suffisance dans la vaine certitude d’avoir compris tout… et le reste.
Je ne vous dirai pas ce que faisait Bernard le dimanche 6 mai 2007.
Illustration: photographie de René Maltête
Ce Bernard ne s’en laisse pas compter ou… conter ?
Quoi qu’il en soit, il me fait plutôt peur…
Merci d’avoir signalé cette confusion. 🙂
A vrai dire, je préfère ne pas le savoir… froid dans le dos, un peu, ceci dit, il est important de souligner ce genre de comportement
A propos de tête, cette photo très connue montre celle de Jacques Prévert : la poésie compte les lettres !