Un des passages les plus poignants de la Recherche: dans « Le Temps retrouvé » celui où Swann déclare en souriant à la Duchesse de Guermantes qui s’apprête à monter dans sa voiture pour se rendre à un dîner et lui demande la raison qui l’empêchera de venir en Italie: « Mais, ma chère amie, c’est que je serai mort depuis plusieurs mois ». Dans l’incertitude, celle-ci répond: « Qu’est-ce que vous me dites là? (…) Vous voulez plaisanter?« , ne sachant, comme l’écrit Proust, si le code des convenances « l’autorise à témoigner de la pitié à un homme qui va mourir ». Un trouble certain quoique peu objectivable saisit le lecteur. Y a-t-il une amitié possible entre les classes sociales? Cette scène éclaire d’un halo tendre et mélancolique tout l’épisode Swann de la première partie, qui revient alors comme le souvenir d’une douleur muette et inutile.

Illustration: anonyme.

  1. mohamed says:

    Nos vies sont pleines de fragments de souvenirs. Nous ne pouvons pas les nommer, ni les classer, et ils n’ont pas une grande importance. Ils demeurent cependant inscrits dans notre mémoire, inaltérables. Dès lors, peut-être que le seul moyen de m’acquitter de ma dette envers eux est de les accompagner par des lectures telles que celles que vous citez dans ce billet sur le temps retrouvé.

    Oui, tout à fait d’accord, la lecture de certaines (grandes) oeuvres est une manière d’aller à la recherche de notre propre temps perdu. Merci pour votre visite. 🙂

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Patrick Corneau