1661476-md.1196234784.jpgTout le monde aime Rimbaud. Soit. Mais faut-il pour autant aimer la poésie, notamment celle dite « pure »? L’impertinent Gombrowicz n’était pas ce cet avis:
« Pourquoi est-ce que je n’aime pas la poésie pure? Pour les mêmes raisons que je n’aime pas le sucre « pur ». Le sucre est délicieux lorsqu’on le prend dans du café, mais personne ne mangerait une assiette de sucre: ce serait trop. Et en poésie, l’excès fatigue: excès de poésie, excès de mots poétiques, excès de métaphores, excès de noblesse, excès d’épuration et de condensation qui assimilent le vers à un produit chimique. » (Witold Gombrowicz, La Havane, 1955, Contre les poètes, Editions Complexe, Bruxelles, 1988.)
Rien de tel dans le haïku qui n’est pas un art bavard. Il ne désire pas expliquer, décortiquer le monde, ni l’embellir en le noyant sous une multitude d’images, de sensations, de métaphores lyriques. L’art du haïku nous invite à rejoindre notre nudité originelle. C’est cette nudité, cette simplicité volontaire qui permettent au mystère du monde (le yûgen, la beauté élégante, raffinée et subtile chère aux poètes japonais) de transparaître. C’est ainsi: le monde ne sera jamais une marchandise. Il se donne à qui veut bien s’abandonner. Nous touchons là un des mystères de cet art, qui ne cherche pas à combler le vide de notre vie, mais plutôt à nous délester du trop plein qui nous empêche d’être à l’écoute, oblitère notre capacité d’attention. Un haïku existe, non par ce qu’il ajoute au monde, mais par ce qu’il ôte à la pesanteur de notre esprit.

Sabishii zo hitori go-hon no yubi o hiraite miru

Tellement seul

J’ouvre pour voir

Mes cinq doigts

Hôsaï Ozaki (1885-1926). Traduction: Ryu Yotsuya et André Duhaime.

Illustration: photographie anonyme

  1. Danielle says:

    Une définition de Roland Barthes : « la nature du haïku est d’imposer silence – enfin – à tout méta-langage ». Avez-vous lu « la préparation du roman, I et II ? C’est dans cet ouvrage (cours et séminaires) que l’on trouve une étude vraiment passionnante sur le haïku…

    Merci pour la citation et la référence à ce cours de Barthes que je connais pas (j’ai lu « Le Neutre : Cours au collège de France (1977-1978) » tout à fait passionnant lui aussi). Je vais m’y reporter. 🙂

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Patrick Corneau