spiropolitis.1194422864.JPG« Si je suis trop fatiguée pour sortir, j’allume l’ordina­teur et je participe à des forums, je parle sans parler avec des gens qui ne sont que des noms, vrais ou faux, de sujets qui me sont indifférents et qui me reposent, comme les autres, peut-être, cherchent aussi à se détendre en n’abor­dant pas ce qui leur tient à coeur. Après, je me sens moins la proie des ombres et je peux m’endormir, même si parfois un cauchemar me réveille et me prouve que tout n’est pas si simple.
[…]
La nuit, je ne dors pas. (…) mais quand, au lieu de dormir, j’allume mon écran et cherche fébrilement un site qui pourrait me distraire ou m’intéresser, je vois l’effet des événements du monde. Je lis les blogs. Je voudrais prendre part à ce grand mouvement d’expression, à cette tentative de sortir de l’anonymat mais ne pourrait-on pas dire au contraire que l’anonymat s’étend et saisit jusqu’aux noms?
Les gens ne sont plus que des prénoms, des surnoms, un seul mot, court, de préférence, à cette condition ils livrent leurs pensées intimes.
[…]
Je suis dans le noir, sans autre lumière que mon ordinateur et son écran lumineux, un écran – c’est notre façon de recevoir le monde, maintenant, un rectangle où viennent s’assembler des particules qui forment des images qui se déplacent et qui parlent, parfois, mais avec tout cela, comment avoir le sentiment de la réalité, comment ne pas confondre le vrai et le faux, l’apparent, le réel (…) – car il y a quelqu’un, de l’autre côté dans une pièce obscure ou claire, dans un lieu que je ne connais pas, que je ne me représente pas, et ce quelqu’un m’écrit ou croit m’écrire, il écrit à un nom, un pseudonyme, une entité, une abstraction, une présence, oui, nous avons tellement l’expérience des absences que nous sommes prêts à nous vouer à n’importe quelle présence » – Cécile Wajsbrot, Conversations avec le maître, Denoël, 2007, p. 15, 63, 142.

Les mots qui s’affichent sur votre écran sont-ils plus mensongers que ceux que vous venez d’échanger avec votre moitié, votre rejeton, votre voisin de palier, vos collègues de travail?

Illustration: photographie de Spiro Politis.

  1. Solange says:

    Votre message me fait penser au livre de Sylvain Missonnier « Le virtuel : la présence de l’absent », objet de la chronique de Jean Michel Dumay, Le Monde du 4-5 novembre 2007. « Le virtuel : on y tricote un soi plus proche de l’idéal du moi que de la réalité. On contrôle son image, ses mots, ses faiblesses, ses petits secrets. On protège sa vulnérabilité. Et l’on construit ainsi, conversation faisante, parfois à son corps défendant, une relation dite « en miroir » … ».
    Oui je pense que le « virtuel » est plein de petits mensonges et de petits arrangements. Pour répondre à votre question, en bon élève que je suis, je n’ai pas de collègue de travail, ni de voisin de palier. Je déteste le mot « rejeton » (rejet) et encore plus « moitié » (moitié de quoi ?? ) pour désigner un époux ou un compagnon. J’aurai donc Zéro. J’écris ces quelques lignes avec un léger petit sourire.

  2. Solange says:

    Merci cher Lorgnon Mélancolique, car je mériterais un double zéro. Mais est-ce une faute d’orthographe ou un lapsus ?? hum ! dirait mon analyste préféré …

  3. olli says:

    mmmh … si tu es encore vivante après 9 ans, je crois que je fais pire …
    je parle à un mail que j’ai créé pour mon ex-amie, et qu’elle ne lit plus
    je pense que cela ne durera plus très longtemps / la raison et la désespérance permettent de trouver des ressources pour envisager un solutionnent plus rapide à une situation insoutenable
    je te souhaite une longue vie / et on ne meurt jamais vraiment …

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Patrick Corneau