Hier soir, j’ai vu des hommes pleurer. Oui, je dis bien: pleurer. C’était touchant et même bouleversifiant! Et même c’était des hommes politiques. Ils apprenaient ou annonçaient leur défaite ou victoire à la députation. Certains avaient la larme rentrée, et passaient fiers, drapés dans leur dignité froissée, pour rejoindre d’un pas de romain la roche du Capitole (Jean Pierre). D’autres avaient la larme « digne », retenue sur le bord du globe oculaire, elle brillait au fond d’un regard raidi par l’orgueil et la fatalité acceptée (Alain). D’autres l’avaient effondrée, généreuse, se détournant pudiquement de la caméra ou balbutiant entre deux hoquets des remerciements « pour le travail formidable accompli par toute une équipe de militants dévoués et enthousiastes qui sont allés chercher les votes au porte à porte. » (Jean-Louis). Bien sûr, aucun de ces émouvants crocodiles n’a eu une pensée, horresco referens, pour le jackpot que leur offre (ou plus) le mandat national, à savoir 6.952 € par mois, plus 6.278 € d’indemnité mensuelle pour frais de représentation, ni pour la confortable retraite de 1572 € qu’ils toucheront à soixante ans (pour cinq petites années de cotisations; pour deux mandats, soit dix ans, la pension s’élève à 3160 €, bingo!), ni pour les gourmandises diverses dont ils bénéficieront (ou plus) comme la gratuité des voyages en train (en 1ère classe, cela va de soi), la multitude des services offerts dans les locaux même de l’Assemblée tels qu’une Poste, des boutiques, un coiffeur, à des prix défiants toute concurrence. N’évoquons pas l’hôtel de 100 chambres situé rue Saint Dominique dans le VIIème arrondissement dont l’Assemblée Nationale est propriétaire: assimilé à un hôtel quatre étoiles mais au prix d’un « Formule 1 » puisque la nuitée coûte la somme dérisoire de 30 €…
Si votre député est dévoué, compétent, attentif aux attentes de ses concitoyens, pensez à toutes ces larmes versées le soir du 17 juin.

Rappel. Puisque l’engagement dans le désengagement est tendance, surtout lorsqu’il est fait avec éclat par des couples « médiapipeulisés », je vous engage à nouveau à lire le merveilleux et intemporel Éloge du mariage, de l’engagement et autres folies, de Christiane Singer, paru en 2000 chez Albin Michel…

Illustration: « Crocodile au zoo de Pont-Scorff », photographie de Henri Manguy

  1. air95 says:

    hum, hum, un défi à l’engagement tout çà. Mais la lucidité n’empêche pas de s’engager. Entre idéal et réalité, la ligne est étroite sur laquelle nous devons marcher, nous, pauvres militants funambules. Dimanche soir je n’ai pas regardé les programmes des chaînes télé, car j’étais au bureau de vote, entourant avec quelques militants, notre candidat défait. Nous n’avons pas pleuré et parfois nous avons eu envie de rire à l’écoute du discours de l’heureux élu, « soutien indéfectible » de notre sélectionneur de l’équipe de France des meilleurs (pardon, mon engagement m’a fait glisser dans la partialité). Demain, nous reprendrons nos activités militantes malgré tout ce que nous savons, pour tout ce que nous espérons. C’est une veille qui n’empêche pas l’éveil « ceux qui veillent ont un monde commun, mais ceux qui dorment se détournent chacun dans un monde particulier » Héraclite, frag 89.
    Bien amicalement,

  2. Michèle says:

    Je l’ai aimé, acheté en plusieurs exemplaires, vais l’offrir et me délecte de son côté iconoclaste tellement hors norme ambiante, le livre de C. Singer « Eloge du mariage ….. ». Et « Derniers fragments d’un long voyage » dégage une émotion palpable et « Seul ce qui brûle « est l’incandescence de la rencontre amoureuse dans toute son intransigeance. Découverte de cette écrivain avec un bonheur délicieux même si tardif.

  3. Michèle says:

    Désolée en consultant votre blog à rebours je relis un post de vous sur « Eloge du mariage » et je vous avais déjà répondu. Cette réponse est donc une redite. Cela dénote l’impact de ma découverte de cette femme auteur qui me bouleverse profondément : j’ai l’impression de vivre avec elle une rencontre, un idéal d’absolu, une capacité d’être en dehors du temps des modes imbéciles et de quelqu’un de juste. Ce qu’elle écrit elle l’a vécu, en est illuminée et nous fait part de son exaltation. C’est la première fois que ceci m’arrive, je suis en train d’acheter tous ses bouquins. Veuillez bien vouloir excuser mon côté obsessionnel sur ce sujet…

  4. Il y a des obsessions qui sont bienvenues… Je suis ravi d’avoir un peu contribué à votre découverte et à ce qui en a découlé. Oui, tout ce pour quoi nous aimons C. Singer est intemporel, l’authentique n’est pas « trendy » et c’est tant mieux… 🙂

  5. Pingback:Scholarships for African Americans

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Patrick Corneau