La Catastrophe, l’Accident général est là, imminent. Comme le déclare Jean-Pierre Dupuy*: « Nous le savons, mais nous ne croyons pas ce que nous savons ». Enigme ultime de notre époque que le philosophe Gunther Anders (1902-1992), le premier, avait dénoncée: la représentation des conséquences de nos actions ou inventions a fini par nous échapper et nous rendre insensible à tout avertissement ou menace. Aux yeux d’Anders notre époque se définissait par le fait que l’humanité peut désormais se liquider elle-même à tout moment et il ne cessait de fustiger « notre paresse face à l’apocalypse ». Pour cet outsider de l’Ecole de Francfort le monde dans lequel Auschwitz et Hiroshima furent possible n’était pas derrière nous. C’est celui qui tend à nous transformer en rouages de la mégamachine et à nous faire perdre tout sens de l’humain. D’où sa fameuse thèse du « décalage prométhéen »: le problème tient d’abord à ce que nous devenons de moins en moins capables de concevoir ou d’imaginer ce que nous réalisons et produisons par la technique. Or ce hiatus, écrit-il, constitue « la scandaleuse absence d’essence de l’homme d’aujourd’hui », son état d’irresponsabilité et ce pour quoi il risque de devenir dangereusement « obsolète ».
Cette aporie, que « nous ne sentons pas ce que nous faisons », est fascinante et terrifiante. La phrase sus-citée éclaire un des vers les plus hermétiques de Mallarmé: « Rien n’aura eu lieu que le lieu excepté peut-être une constellation**. » Si la constellation symbolise la civilisation depuis l’origine préhistorique de l’humanité, ce vers devient visionnaire. Peut-être ne restera-t-il un jour que des extraterrestres archéologues pour imprimer poétiquement notre présence passée dans les étoiles, comme le faisaient les Grecs avec les mythes.
Nous le savons, mais comment y croire?
*Jean-Pierre Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé, Paris, Seuil, 2002.
**Stéphane Mallarmé, Un Coup de dés, 1897, oc 474-477.
Illustration: « Un pan des remparts de Dinan s’effondre le 6 juin 2007 », photographie (AFP) publiée dans Le Figaro du 7 juin 2007.
Je garde précieusement cette phrase « Nous le savons, mais nous ne croyons pas ce que nous savons”. Merci pour ce billet en étoile filante dans les ténèbres de nos croyances..
Pingback:OpenOffice Download