Créé par Horace Walpole en le dérivant d’un conte persan, les Trois Princes de Serendip publié en 1557 par le Vénitien Michele Tramezzino (Serendip est le nom du Sri Lanka en vieux persan), ce mot connaît depuis une dizaine d’années un succès renouvelé même si Michel Serres a rappelé que Zola l’a décrit dans un récit (Au Bonheur des Dames) qui met en scène le bonheur de trouver ce qu’on ne cherche pas*.
La serendipity apparaît fortement dans l’univers d’internet, et particulièrement dans celui des blogs: ce qu’on peut y trouver s’accroît très rapidement en quantité et qualité, et la manière d’en tirer parti doit être régulièrement repensée. Mais il n’est pas le seul. Le livre et, dans l’ensemble, l’écrit constituent d’autres moyens d’échange se prêtant à la serendipity, l’exploration d’une bibliothèque (plus grande que le Monde, nous dit Borges) en étant l’archétype. Le voyage – moyen de gestion de la distance, se trouve à l’origine même de la notion. De même, la ville tire sa force de la concentration en étendue de réalités qui interagissent, pour une part significative, de manière non programmée. Dans une ville, la possibilité d’interactions non prévues, en particulier celles rendues possibles par le contact multisensoriel dans les espaces publics, donne accès, lorsque le potentiel est actualisé, à des trouvailles inattendues. On cherche une chose, on en trouve une autre – ou on rencontre quelqu’un. On va quelque part et on se retrouve ailleurs, tout en restant éventuellement dans le même lieu.
L’idée que le hasard et la surprise sont une des conditions de l’invention n’est pas nouvelle. Aussi le lien d’une réflexion sur la science avec le récit éponyme du conte persan de Walpole est tout à fait justifié: les princes développent à partir d’indices inattendus une capacité d’analyse (déductive) puissante et rigoureuse qui fait penser à celle de Sherlock Holmes. C’est en observant l’herbe d’un chemin qu’ils peuvent conclure qu’un chameau est borgne. Autrement dit, la serendipity n’est pas un amusement ou un supplément d’âme: elle se situe au cœur de la découverte. C’est une composante d’une méthode. Dans le même esprit, mais en insistant sur la dimension langagière, Umberto Eco montre, dans Serendipities: Language and Lunacy (Columbia University Press, New York, 1998) l’importance des erreurs et des malentendus dans l’exploration d’univers culturels exotiques.
Dans les deux cas, le voyage est beaucoup plus important que la destination, ou plutôt: dans la définition des conditions du voyage réside une grande part des caractéristiques de la destination effective. On pense alors aux vers d’Antonio Machado : « Caminante, no hay camino/ Se hace camino al andar » [« Voyageur, il n’y a pas de chemin/ Le chemin se fait en marchant »]. La serendipity se révèle alors dans toute son ampleur: paradoxe logique, principe épistémologique, philosophie de l’existence. Elle peut être définie comme la dimension non programmable de l’invention du réel. Ce qui rejoint cette pensée de Chris Marker: « Les coïncidences sont les pseudonymes de la grâce pour ceux qui ne savent pas la reconnaître ».

* »En bouleversant, un beau matin, l’ordre de ses rayons, Boucicaut égare, en effet, la ménagère dans le grand magasin qu’il a fondé, ainsi transformé en labyrinthe, de sorte que, venue pour acheter une robe et un panier, elle en ressort vaincue par dix tentations inattendues, et donc surchargée d’emplettes imprévues. » Michel Serres, Rameaux, Ed. Le Pommier, 2004. Procédé devenu une technique banale en marketing…

Illustration: « Finfing ideas », photographie de Dan Dubois.

 

 

  1. Tony Pirard says:

    Bien placé la photographie explicative d’une jeune cueillant fruit de l’arbre,en sous-entendant les lamps être la lumiére d’un connaissance major.
    Mais,je vous dis:n’être pas facile quelqu’uns entendre vous mesage,nécessaire si fait avoir une comprehénsion plus haut par la objectivité de sujet traité par l’ami Lorgnon Mélancólique,notamment quand tu parle de Émile Zola.
    Zola,manifeste dans Au bonheur des Dames,une préoccupation par l’avènement du capitalisme moderne,qui menace de ruine l’artisanat et le petit commerce.Devons nous-demander à soi-même comme pouvais Zola savoir ces problémes mercantile futur si nous pseudo-intelectuels d’aujourd’hui choc,malgré toute la tecnologie!
    Quelquefois,certains élucubration philosophique nous échappe,mais j’aimai le pensée de Chris Marker « Les coîncidence sont les pseudonymes de la grâce pour ceux qui ne savent pas la réconnaître ».
    Je vois que tu as placé les sujet à hauteur d’un Zola,par cela que je suis tous les jours…
    Je te felicite… Continue…

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Patrick Corneau