Il y eut à Arques, en France, en Europe, une fin du monde avant même la fin du monde que nous avons connue avec le nouvel âge glaciaire. Les civilisations sont mortelles… Qu’aucune révolution ne soit venue pour dire le refus d’en finir avec un modèle où chaque homme pouvait espérer éducation, santé, emploi, mais aussi, regardez encore ce service à champagne, pouvait prétendre à évoluer dans un monde où règnent une certaine beauté, un certain raffinement, oui, cela reste assez mystérieux.
On ne peut s’empêcher de penser à ces civilisations, la grecque, la romaine ou les précolombiennes, qui ont péri sans vraiment combattre, comme fatiguées d’elles-mêmes. Vous savez comme moi que la seule mesure coercitive de notre République chinoise des Conseils est l’interdiction de passer plus d’une heure par jour devant un écran, quel qu’il soit. C’est tout simplement parce que nous savons que l’Occidental des derniers temps ne savait plus regarder sa femme, sa ville ou même un service en cristal comme celui-ci, qu’il préférait rester devant cette arme de destruction massive archaïque qu’on appelait la télévision.
Je vous remercie, chers étudiants, pour votre attention, et la télévision me fournit la transition pour mon prochain cours, qui sera consacré à la production-consommation des images dans l’Amérique de la période 1945-2010 et à son rôle décisif dans la passivité des foules face aux bouleversements économiques et climatiques, lesquels se passaient pourtant à la porte même de leurs maisons.
Conclusion du cours donné le 25 avril 2064 par le professeur Mo Yan sur « La désindustrialisation de l’Europe entre 2004 et 2015 », Canton, campus de l’Université internationale George-Orwell.
Extrait du remarquable petit livre de Jérôme Leroy, Rêves de cristal ARQUES, 2064 (Editions Mille Et Une Nuits, n°501, 2,50 Euros) où le monde qui (vraisemblablement) nous attend est décrit avec une implacable lucidité et un humour détaché…
Pas de la science-fiction et mieux encore que de la politique-fiction!
Formidable récit qui nous transporte dans un futur proche, qu’on touche du bout des doigts, et qui fait froid dans le dos (qui fait froid partout, d’ailleurs!).
L’auteur dédit ce texte à « toutes celles et tous ceux qui, à Arques ou ailleurs, sont tombés, tombent ou vont tomber au champ d’honneur de la désindustrialisation programmée ».
Autre arme de destruction massive que l’auteur stigmatise: « la visée aberrante de tant de managers de l’époque : des usines débarrassées de ces personnes si encombrantes et si onéreuses, les ouvriers ».
Merci d’en avoir fait sa publicité.
(et je me plonge de suite dans du Vialatte pour me remonter un tantinet le moral…)
Merci d’apprécier… Les textes de Jérôme Leroy méritent plus qu’un détour, sa manière de décrire un futur possible est bien plus saisissante que ce qu’un Houellebecq propose; je recommande vivement « Big Sister » et « Rapport sur une très fugitive beauté », encore plus troublants à la lumière de l’actualité…
🙂
C’est noté! J’inscris ces « vives recommandations » sur ma liste des courses de la journée…