Dans les années 90 firent fureur les images « en 3D virtuel » (stéréogrammes). Après un engouement passager, le procédé tomba dans l’oubli. De quoi s’agissait-il? Sans avoir recours à des lunettes spéciales, l’éclatement de l’image ayant été calculé par ordinateur, il suffisait de se placer à vingt centimètres, de fixer (sans loucher) la reproduction tout en regardant ailleurs, après quelques secondes le cerveau reconstituait automatiquement le relief stéréoscopique, l’image en trois dimensions jaillissait littéralement de la page. Ce procédé, vieux comme le monde, aurait été utilisé des mosaïques romaines et carthaginoises aux tapis persans en passant par la Crète et l’Egypte antique…
Pour que l’effet survienne, les instructions stipulaient « de ne pas trop se concentrer, de se détendre, de faire en sorte que l’idée d’observer l’image soit agréable sans la regarder. » Tous les manuels insistaient identiquement: ça ne fonctionne bien qu’à la condition de ne penser à rien! Cet impératif est lourd de signification, il est presque emblématique de notre époque: pour voir, il ne faut penser à rien…
Cela me fait penser à l’anecdote que m’a rapporté un ami pédopsychiatre qui recevait un petit garçon qui allait très mal. « Tu as des soucis? – Je ne sais pas. – A quoi penses-tu? – A rien. » Mon ami lui tend une feuille blanche et des feutres: « Eh bien, dessine-le. » L’enfant se met à tracer des bizarreries sur la feuille, ça devient un cheval sans queue ni tête, à la lettre, décapité et la queue tranchée. Selon le psychiatre, l’enfant s’est mis à aller beaucoup mieux… Devrions-nous, pour tirer la leçon de ces deux anecdotes, penser à rien?

Illustration: stéréogramme « Dieu » © Magic Eye Image

  1. gmc says:

    superbe expérience.
    toute la problématique est là: se prenant pour des dieux, les humains sont persuadés que « je pense » alors que l’observation rigoureuse montre que « ça pense » ou, plus technique, « un processus non assujetti la volition d’un indvidu supposé – supposé car image créée par ce même processus – crée des pensées de mpanière mécanique, automatique et quasi-continue »
    le jour où ceci est regardé comme tel, c’est la fin des embrouilles (regardé comme tel ne signifie pas se limiter à une simple analyse intellectuelle superficielle).

    « quand on n’est plus victime de la croyance à la personnalité, on n’est plus sujet au désir et à l’attachement. » (Soûtra de l’Entrée à Lankâ, II,49)

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Patrick Corneau