Pour servir d\\'introductionAucunement intentionnel, ce blog s’est formé tout seul, en marge des jours, au fil des travaux et des lectures, au gré des conversations et de l’humeur.

C’est la seule justification de ces topiques où se mêlent arguments et idées éparses, où persistent le désir de tout dire et son impossibilité, sachant que ces notes, perceptions, réflexions et remembrances, épinglées dans ce blog comme des papillons, pas plus qu’elles ne constituent une totalité d’elles-mêmes au moins peuvent permettre de tracer une sorte de portrait en creux offrant l’image d’un paysage intérieur avec ses préférences, ses détestations, ses fixations voire ses obsessions. Comme l’écrivait Jean Grenier, « Le portrait que l’on fait involontairement de soi est le plus ressemblant. (…) C’est l’itinéraire d’un aveugle ; c’est une mosaïque dont le dessin n’apparaît qu’au recul [1]. »

On s’arrêtera un instant sur la forme choisie – pièces brèves, fragments mêlant les notes aux réflexions, les souvenirs aux citations – ce tout kaléidoscopique s’efforçant de livrer un témoignage sur le train du monde tel qu’il est, tel qu’il va avec la modernité, ses fausses vertus et faux-débats, ses « guerres justes » et ses nombreux « crimes de paix ». Ce que je propose dans ces flèches et autres « fusées », c’est bien plutôt l’esprit du chroniqueur, au sens où Walter Benjamin l’entendait. Contrairement à l’historien, au sociologue qui expliquent les événements à travers une chaîne de causalités, le chroniqueur les raconte et les présente comme de « simples échantillons de ce qui advient dans le monde », il rapporte les événements « sans distinguer entre les grands et les petits », fait « droit à cette vérité : que rien de ce qui eut jamais lieu n’est perdu pour l’histoire [2]« . Bref, une approche circonstancielle de la vie concrète à travers ses formes nouvelles, ses espaces intermédiaires, ses rythmes.

 

Je justifierai le moindre rhétorique qu’est l’écriture courte par un scrupule, une gêne, une impossibilité peut-être vis à vis des limites trop étroites de la page et du volume imprimé, de l’ordre linéaire qu’ils imposent et des limites mêmes de l’écriture. Entre la tradition du journal philosophique illustrée par la littérature depuis le XVIe siècle et l’ »autofiction » si dénigrée aujourd’hui pour ses dérives nombrilistes que reste-t-il? Pour ceux auxquels la forme de leur esprit, de leur réflexion ou de leur rêverie a toujours rendu difficile de s’accommoder de la linéarité du sens, certains auteurs ont apporté des solutions, souvent avec de remarquables résultats littéraires dont on peut s’inspirer – je pense à Laurence Sterne et à sa passion pour la digression, son goût des ruptures qui ne sont jamais que la marque d’une cohérence supérieure ou plutôt enveloppante, inférieure et latérale aussi bien, infiniment plus complexe en tous cas, que la simple cohérence unidirectionnelle et cumulative de l’essai ou du traité.

Mais peut-être ne s’agit-t-il en définitive que d’une inhabileté à conduire ces textes vers une « composition »? Une incapacité de l’auteur à structurer un ensemble? Alors la justification gidienne du récit « à sauts et à gambades » comme disait Montaigne, « parce que l’incohérence est préférable à l’ordre qui déforme », serait une aubaine autant qu’un alibi…

 

Quant à la mélancolie supposée de ces fragments, j’avancerai que la vérité du sentiment n’est pas le mouvement ni l’action, mais la perte, la séparation, sentiments plus anciens et presque plus purs en nous que la beauté. Cette tonalité émotive procède selon moi, comme l’intemporelle saudade brésilo-lusitanienne, d’une forme de résistance érigée contre les violences faites à la raison et à la sensibilité à mesure que la servitude humaine paraît plus lourde, plus unanime. Je la voudrais aussi légère, désinvolte et « douée » que celle de Coelio dans Les Caprices de Marianne à qui Octave demande (Acte I, scène 1) : « Comment se porte, mon bon Monsieur, cette gracieuse mélancolie? »


[1] Lexique, illustrations d’Étienne Hajdu, collection « Explorations », Fata Morgana, 1982.

[2] Walter Benjamin, « Sur le concept d’histoire », III, Œuvres, tome 3, Gallimard, 2000.

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Patrick Corneau