Qui dans l’agitation collective de sa jeunesse n’a brandi un poing vengeur en direction de l’Adversaire? Et puis la raison et l’âge venant, est lourdement retombé dans les rangs, plein de souvenirs nostalgiques ou de regrets amers à conter…
Le point de vue de Sirius d’Adalbert Stifter (1805-1868) fait passer un souffle de mélancolie sur nos juvéniles emportements…

« Gorgés des rumeurs et des flots de sève montante de leur jeune vie à peine commencée, les jeunes gens escaladaient la pente entre les arbres, parmi les chants des rossignols. Tout autour d’eux se déployait un paysage resplendissant où couraient les nuages. Dans la plaine, en contrebas, on pouvait apercevoir les tours et les masses des demeures d’une grande ville. […] Partout, c’est le printemps, aussi inexpérimenté, aussi ingénu qu’eux. […]
De nouvelles conversations ne tardèrent pas à se nouer sur ces entrefaites; ils parlèrent de tout, le plus souvent tous ensem­ble. Les sujets les plus élevés, les plus profonds étaient traités, mais ils eurent vite épuisé les uns et les autres. Puis vint la po­litique: il fallait dans l’État la liberté la plus illimitée, la jus­tice la plus absolue, une infinie tolérance. Quiconque y ferait obstacle serait abattu et vaincu. L’ennemi extérieur brisé, la gloire nimberait la tête des héros. Pendant qu’ils débattaient ainsi de ce qu’ils croyaient être de grandes choses, il s’en passait autour d’eux qui leur semblaient assurément bien petites. Les buissons se couvraient de verdure, la terre couvait et germait, jouant déjà avec les tendres pousses printanières comme avec autant de pierres précieuses. »
Adalbert Stifter, L’Homme sans postérité, traduit de l’allemand par Georges-Arthur Goldschmidt, Phébus, 1978, « Libretto », 2004, p. 21-22.

Plus désabusé, ce constat de Jean Duvignaud dans une interview au journal Le Monde en 1994: « Au XIXe siècle, les gens d’un petit village de Vendée, entendant beaucoup parler du chemin de fer, ont décidé de construire une gare. Ils ont mis des rails, une bâtisse à côté, etc. Le train n’est jamais venu. Il me semble que les intellectuels de ma génération ont construit des gares en pensant que le train devait venir, et il n’est jamais arrivé. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de gens qui pensent qu’il ne sert à rien de construire une gare. Ils savent dès le départ qu’aucun train n’y arrivera jamais. »

Illustration: photographie ©Lelorgnonmélancolique.

  1. Pascale BM says:

    J’ai comme l’impression que je marche à l’envers… car plus j’avance en âge, plus haut je lève le poing. Donc, plus je rajeunis?
    Mais la baleine est belle!

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Patrick Corneau