micael3ferli13Le dernier roman traduit en France de l’Anglaise Rachel Cusk – Disent-ils – a été qualifié de « vertigineux », rien de moins, par Fabienne Pascaud dans Télérama.
L’héroïne, écrivain venu de Londres à Athènes animer un atelier d’écriture, histoire de gagner sa vie, donne la parole à toutes les personnes (étonnamment avides de se raconter) qu’elle est amenée à rencontrer au cours de ce court séjour. S’ensuit un chapelet de récits éclatés, étranges et singuliers, absurdes et cocasses souvent, que l’animatrice britannique quête, écoute complaisamment et restitue (en les recadrant à peine – qu’ils soient au style direct ou indirect).
A mesure que le récit avance, elle finit même par s’oublier, se nier à travers ces flots de confidences en vrac, ces dialogues de sourds dont elle devient le réceptacle attentif. Surprenant au premier abord, ce chœur de voix bourdonnantes et disparates devient vite fastidieux. Surtout peu crédible par le décalage entre les situations et le degré d’intimité, de liberté des discours recueillis. Peut-on imaginer un déballage de divan psychanalytique avec un voisin d’avion ou une rencontre de bistrot? Personne ne se livre ainsi même dans les milieux les plus « décomplexés »! Si le projet de Rachel Cusk rappelle les « flux de consciences » de son modèle Virginia Woolf ou les monologues intérieurs obsessionnels d’une Nathalie Sarraute, on en est très loin sur le plan de la réussite formelle. Cherchant à traquer les misères intimes d’aujourd’hui pour en faire le sujet d’un roman, Rachel Cusk n’a produit qu’un collage de geignements et récriminations d’égolâtres médiocres et rabâcheurs. La formule de l’auto-fiction (déjà un peu pénible en soi) rabattue sur un collectif et additionnée d’un peu de stream-of-consciousness ne vous fait pas John Dos Passos. On referme le livre sur ce chaos de voix autistes en attendant vainement la « leçon » de cette pseudo-moraliste de l’incommunicabilité…

« Ce jour-là, dit-il, dans le restaurant, j’ai pris une photo de toi avec ta famille –cusk tu te souviens? Oui, répondis-je, je me souviens. J’espérais qu’il n’allait pas me montrer la photo, et il s’assombrit. Pas si tu ne le veux pas, dit-il. Mais je l’ai avec moi; elle est dans ma mallette. Je lui racontai que le seul souvenir que je gardais de cette journée était le moment où il avait pris cette photo. Je me souvenais d’avoir pensé que c’était une idée inhabituelle, qui ne me serait pas venue à l’esprit, du moins. C’était ce qui nous différenciait, lui observait quelque chose pendant que moi, de toute évidence, j’étais absorbée par cette chose. C’était un de ces moments qui, rétrospectivement, dis-je, m’apparaissent prophétiques. En effet, j’étais à ce point immergée que je n’avais pas remar­qué que Paniotis nous quittait en voyant sa vie comme un échec, pas plus que la montagne ne remarque l’alpiniste qui rate une prise et tombe dans l’un de ses ravins. J’ai parfois l’impression que la vie nous punit de nos aveuglements et que nous forgeons notre destin sur ce que l’on manque de voir ou sur notre absence de compassion; ce que tu ne remarques pas, ce que tu ne t’efforces pas de comprendre, c’est ce que tu seras obligé d’apprendre. A m’écouter parler, Paniotis parais­sait de plus en plus atterré. Il n’y a que les catholiques pour avoir des idées pareilles, dit-il. Même si je reconnais qu’il y a bien quelques personnes que j’aimerais voir punies avec une cruauté aussi délectable. Et pourtant, il s’agit typiquement de gens qui, jusqu’à la fin de leurs jours, ne retiendront aucune leçon de la souffrance qu’ils auront subie. Ils font tout pour, conclut-il en prenant le menu et en se tournant vers le serveur avec un doigt levé, un homme immense à la barbe grise vêtu d’un long tablier blanc qui durant tout ce temps était resté si immobile, retranché dans un coin de la salle quasi vide, que je n’avais pas fait attention à lui. Il s’approcha et se tint devant notre table, ses bras puissants croisés sur la poitrine, opinant du chef tandis que Paniotis lui parlait rapidement. »
Disent-ils, Rachel Cusk, traduit de l’anglais par Céline Leroy, Ed. de l’Olivier, 2016.

Illustrations: dessin de Micael / Éditions de l’Olivier.

  1. Célestine says:

    Et pourtant, dans le train, il m’est arrivé que certains parfaits inconnus me déballassent leur vie privée de manière totalement impudique, sans que j’eusse fait quoi que ce fût pour les y engager…A part, peut-être, croiser leur regard… 😉
    ¸¸.•*¨*• ☆

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Patrick Corneau