2065« Que devient la jeunesse française dans la mondialisation sauvage? Je l’observe, en fin d’après-midi, assis à la terrasse d’un café, près de la Fac de Droit. C’est le moment de la sortie des cours, un déferlement de corps petits-bourgeois en pleine bousculade. Ils et elles sont très jeunes, 18-20 ans, mais la vieillesse mentale les guette. Voici l’agitation des filles, portables collés à l’oreille. Il y a les enthousiastes déjà enceintes (le type raquera), les douteuses, les inquiètes, les déprimées sans espoir, les déterminées (« ça ne se passera pas comme ça »), les studieuses (« un type, ça se travaille »), les rongées-de-mère, les fausses rieuses (« j’en ai un »). Elles s’assoient à trois ou quatre, elles jacassent. Les types passent, figurants soucieux, pressés, goulaguisés, tentant de tirer leur épingle du jeu. L’un d’eux est pris en otage par trois filles énervées, il aura le droit de les admirer, d’endurer leurs vannes, et de se taire. On sent que les garçons sont voués à travailler, alors que, déjà, même si elles seront très occupées, elles ne foutront pas grand-chose.index
En voilà quatre, une brune et trois blondes, en train de consulter leurs messages. La brune est la star du lot. Elle prend la parole, très fort, elle ne la lâche plus, les blondes sont subjuguées, elles ne regardent plus leurs appareils, elles ont la possibilité de rire mécaniquement, c’est tout. La reine-fille, ayant gagné la bataille des portables, oblige les trois autres à se pencher sur le sien, textos ou photos, « selfies », pubs. Leurs têtes se rapprochent en cercle, ce sont maintenant des petites vieilles affairées, de vraies sorcières rabougries derrière leur chaudron. Comme dans Macbeth, le vrai est faux, le faux est vrai, le laid est beau, le beau est laid. Une Asiatique, parfaitement indifférente, passe. Les filles françaises, elles, se cramponnent à leurs places. Elles boivent du vin blanc, elles fument, mais elles n’ont jamais de briquet. »
Philippe Sollers, Mouvement, Gallimard, 2016.

ferli16Évidemment la plupart penseront que ces portraits émanent d’un vieux baveux libidineux « out » et envieux, d’autres penseront qu’à presque 80 ans, la vie et l’expérience affûtent nécessairement le regard et que celui-ci, décidément, ne caresse pas l’époque – toutes choses qui indifférent les écervelées en terrasse: « Elles butent sur le mur du son. Elles parlent beaucoup, et n’entendent rien. C’est leur vocation. » dit Sollers. Ainsi vont les filles…

Illustrations: photographie ©Lelorgnonmélancolique / Gallimard.

  1. Célestine says:

    Les écervelées en terrasse…Je vous trouve sévère !
    Je ne vais plus oser aller faire la belle au café des allées…
    Vous me direz que je ne suis plus tout à fait une jeune fille. Quoique…
    ¸¸.•*¨*• ☆

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Patrick Corneau