En parcourant en librairie les rayons qui lui sont dédiés, m’est toujours apparue un peu suspecte cette passion collective et si masculine vouée aux écrivains voyageurs (travel-writers), à la littérature de feu de camp, aux Indiens, aux pirates, aux aventuriers de grands chemins. Tous ces anciens petits garçons, fidèles à leurs rêves et à leurs lectures d’enfants, se retrouvent régulièrement en saharienne et pataugas dans des festivals, de Saint-Malo à Bamako; ils évoquent un rite d’initiation Bambara, commentent des bandes peintes sur une pirogue ou admirent des mosaïques afghanes comme ils échangeaient jadis des vignettes de  footballeurs dans la cour de récréation.
Rare donc de trouver autre chose, autre prose que cette littérature de bateleurs-baroudeurs. Je viens de la trouver avec Lorette Nobécourt. Son Patagonie intérieure* est un délice. Vous ne trouverez pas dans ce petit livre un vade-mecum fiable de la Patagonie géographique. Heureusement! A mesure que le voyage progresse, que l’on pénètre dans le pays réel, l’écriture royale de Lorette Nobécourt cède le pas à une Patagonie toute intérieure. Désormais, le sud du sud est celui de notre âme, notre gerbe de rêves, ce « rêve très grand et très ancien » que la vie comme elle va occulte. En Patagonie, tout voyage au bout de la nuit s’illumine. Tel est le fruit de cette expérience de la course aux antipodes (au-delà : RIEN) où le corps, porté par une puissance d’amour ici peu commune, se met en danger; et ceci pour le plus haut bénéfice de l’âme, du dharma, enfin ce que chacun voudra bien mettre sous ce mot presque déplacé aujourd’hui. 

Y a-t-il un monde au bout du monde? La réponse n’est pas chez les « voyagistes », elle est dans le regard probe et inspiré de Lorette Nobécourt.
Son infini a peu à voir avec celui des « randonneurs », lequel est un mauvais infini parce qu’il est seulement le sans fin du fini, et que la douleur des yeux pour notre écrivain est, en paraphrasant Guido Ceronetti, de ne voir en tout que du fini…

*Lorette Nobécourt, Patagonie intérieure, Grasset, 112 p., 13 €. Avant édition ce livre  a fait l’objet de « Carnets » diffusés sur France Culture que l’on peut écouter sur le site de l’auteur.

Illustration: photographie de Leonid Plotkin.

  1. Oui, oui et oui pour le constat de Chantal Thomas, merci pour ce rappel (j’avais lu et aimé ce livre). Lorette Nobécourt fait des observations tout aussi désespérées sur les ravages du tourisme… Il reste à faire le tour de sa chambre avec les bons livres de voyage.

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Patrick Corneau