Ils n’ont aucun « problème de vie ». C’est l’exemple même du couple idyllique. Ils s’aiment. Ils sont heureux. Ils se regardent d’âme à âme avec des yeux humides et ne se lâchent pas la main. Tout va bien avec leurs deux enfants tout mignons. Ils sont beaux, souriants, sensuels, tendres (« ma puce », « mon cœur »). Et responsables: pionniers de la lutte-contre-les-antennes-relais-de-téléphonie-mobile-à-proximité-des-écoles (même s’ils pensent qu’être connecté est un droit et qu’il faut faciliter l’accès de toutes les catégories sociales à la possession et l’usage de la « tablette unique »).  Ils aiment leur quartier où « ça bouge bien ». On les voit arpenter les travées de manifestations « salon des loisirs, forum des associations » où se retrouve toute une société d’admiration mutuelle qui désire se dévouer à l’Autre. Car ils veulent rendre les autres témoins de leur bonheur. Dans la conversation, ils arrivent vite à expliquer à leur interlocuteur comment ils ont fait pour en arriver là. À tout bout de champ, mimétiquement, ils disent: « Nous avons eu la chance de… », « Nous avons eu la chance d’être invités à l’émission Ce soir ou jamais de Frédéric Taddéi. Ils parlent des « papas », des « mamans », des « bises » et des « bisous », comme des bonnes, comme des enfants, comme des enfants de bonnes.

Ils sont éperdus de reconnaissance envers notre monde merveilleux. Tout ce qu’ils font c’est bien, c’est formidable, ça les enthousiasme: « Que du bonheur! » répètent-ils. Ils adhèrent à toutes les publi-campagnes qui veulent notre bien: rouler à vélo, croquer cinq légumes crus en repoussant les plats en sauces, donner un euro pour le micro-crédit , boire du thé cultivé sur les hauts plateaux sri-lankais par des paysans tamouls qui ont renoncé à la déforestation dans le cadre du programme « Sauvons la forêt sri-lankaise » soutenu par le fonds mondial contre la déforestation du sous-continent indien.

Ils se passionnent pour les énigmes ou les mystères de l’Histoire: ils sont convaincus que le Vatican nous ment depuis des siècles sur la sexualité du Christ, la répression des cultes païens, le secret des Vaudois, le trésor de Rennes-le-Château, etc. Ils aiment les romans qui ont un arrière-plan « spirituel », qui racontent une « quête de sens » ou dévoilent des choses cachées depuis la fondation du monde. Ils lisent Paulo Coelho. Greg s’est récemment rallié au « Freud bashing » américain et à un hédonisme « décomplexé », il dévore les livres de Michel Onfray. Cloé n’aime pas les auteurs français. Elle lit exclusivement de la littérature étrangère publiée chez Actes Sud en chaussant des lunettes à monture rouge.

S’ils partent en vacances en Turquie, alors ils lisent des « bouquins » turcs, ils racontent aux enfants des contes turcs, ils mangent des kebabs et des baklavas, enfin ils se préparent. Ils ont fait une vidéo sur leurs vacances en péniche l’an dernier. Ils l’ont mise sur YouTube. Ils aiment donner des bons conseils à tout le monde. A eux deux, ils ont 583 « amis » sur Facebook. C’est le cool couple. Le couple « zéro défaut ».

La plupart de leurs amis – auxquels ils ont, à la longue, inoculé une misanthropie féroce, parient qu’ils ne tarderont pas à s’entredéchirer. On attend la chute: vociférations, postillons et chagrins « light ». Oui, la vie en couple, « c’est pas h’évident ». Un coach les aidera à « travailler sur soi », à moins qu’ils ne rejoignent un groupe de parole.

Illustration: Dessin de Claire Bretécher

  1. Rodrigue says:

    Cela fait penser à « Carnage » le film de Polanski, ou deux couples parfaitement antagonistes, ne partagent finalement qu’une seule chose, leur envie de s’affronter via leur progéniture

    1. Oui, en pire (Bobos triple « B » car Greg et Cloé sont plutôt « AA »), avec la différence des semelles de plomb et de l’enfant « roi » unique, choyé et élevé dans le respect (non traumatisant) de son libre vouloir…
      🙁

  2. Standard and Poor's says:

    Nous dégradons la note de ce couple de AAA à AA+.
    En effet : Monsieur a été aperçu nu, à quatre pattes, un collier autour du coup poursuivi dans son appartement par Stan, ancienne star du X masculin.
    Quant à Madame…

  3. Vous êtes donc revenu (pas de tout, j’espère…) ?

    Votre photo du couple new-age, à la Bretécher, est réjouissante.
    Entre nous, je préfère votre « post » sur le grand Spinoza, quelles que soient les réserves que vous y introduisez.

    Amsterdam m’a toujours fait penser à lui : j’ai même logé (près de la gare où il y a plus de vélos garés que de trains) dans un hôtel à son nom et à son effigie dans les couloirs.

    Mon prof de philo de la fac de Besancon, André Vergez, en était un ardent suppôt. Il a quand même « dirigé » mon mémoire de maîtrise sur Nietzsche.

  4. Tante Léonie says:

    Que je suis heureuse ! Votre retour -féroce- me réjouit ! Je respectais votre abandon de blog, mais nous avons besoin plus que jamais de sentinelle !

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Patrick Corneau