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Au moment délicieux que vous vous sentez glisser dans un sommeil pareil à l’eau tiède, un choc sec et sournois, comme un déclic, vous frappe au cœur; puis un second, plus vif; puis d’autres encore qui peu à peu, en progression régulière, grossissent, se multiplient, fourmillent. Vous les avez reconnus: ce sont les coups de marteau.
Ah! qui saura jamais à quoi le Monsieur d’en dessus, entre ses heures de bureau, emploie ses heures de loisir: et tout ce qu’il peut bien clouer, dès qu’il a un peu de tranquillité devant lui (la vôtre)? Est-ce un passionné de cordonnerie en chambre, un entomologiste? Construit-il des étagères en bois découpé; est-ce des chromolithographies qu’il suspend à ses cloisons ou des pointes qu’il enfonce dans la gorge osseuse de sa vieille maîtresse? Cruelle, cruelle énigme.
Mais peu à peu des concurrences s’éveillent aux quatre coins de la maison. Dans l’immeuble contigu, un concierge monomane ébranle à sourds efforts de bélier la muraille mitoyenne où s’appuie votre lit. Plus loin – on ne sait pas au juste bien où – un professeur de sciences accorde lui-même son piano, tandis que sa femme, aigrie par la médiocrité, bat leur enfant qui, jusque-là, criait sans raison. Et, comme pour leur répondre, le joli blond de l’entresol, qui sans doute attend une dame dans sa « luxueuse garçonnière », heurte à petites tapes rythmiques et lancinantes, contre le marbre de sa cheminée, un flacon d’odeur qui ne veut pas s’ouvrir.

Pour saluer Paul-Jean Toulet le styliste, l’écrivain racé, le poète impeccable. Une seule de ses phrases nous rappelle que le pouvoir d’achat ne saurait remplacer l’âme et que le monde a besoin de poètes pour être dit, même s’il est désastreux.

Illustration: Untitled (2001-2002) de Gregory Crewdson

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Patrick Corneau