rarindraprakarsa2.1208967023.jpgAu début Lie Tsou aimait beaucoup voyager. Hou-tch’iou Tsou, un disciple, lui dit:

– On me dit que vous aimez voyager. Qu’aimez-vous donc dans les voyages?
– Pour moi, dit Lie Tsou, le plaisir du voyage réside dans l’appréciation de la variété. Lorsqu’ils voyagent, la plupart des gens ne font que contempler ce qu’ils ont devant les yeux. Moi, quand je voyage, j’observe le processus du changement.
– Je me demande, dit Hou-tch’iou Tsou, si votre manière de voyager ne ressemble pas beaucoup à celle des autres, bien que vous la considériez comme différente. A chaque fois que les gens regardent quelque chose, ils regardent nécessairement des processus de changement, et l’on peut très bien apprécier les mutations des choses extérieures tout en restant totalement inconscient de ses propres mutations. Ceux qui se mettent en peine pour voyager au-dehors n’ont pas la moindre idée des découvertes qui peuvent être faites au-dedans. Celui qui voyage à l’extérieur dépend des choses de l’extérieur. Celui qui voyage en lui-même y trouve tout ce dont il a besoin. Voilà la forme de voyage la plus élevée, alors que bien dérisoire est celle qui dépend des choses du dehors. »

Après cela, Lie Tsou n’alla plus jamais nulle part, comprenant qu’il n’avait jusqu’alors jamais su vraiment ce que voyager signifiait…*

Dans Le Livre de l’intranquillité, Fernando Pessoa** met dans la bouche de son aide-comptable Soares: « Seule une extrême faiblesse de l’imagination justifie le voyage. Pour voyager, il suffit d’exister. »

* Histoire rapportée par Kenneth White dans Dérives, Les Lettres Nouvelles – Maurice Nadeau, 1978.
** Pessoa n’a jamais voyagé si ce n’est à travers ses hétéronymes. Il s’en est tenu à la boisson, chaque gorgée était probablement pour lui un pas… A une journaliste qui s’étonnait de sa facilité à comprendre et intégrer de multiples cultures dans ses collections,
Yves Saint Laurent avoua qu’il n’avait jamais voyagé mais que quelques livres bien choisis lui avaient suffit pour comprendre l’esprit d’un peuple.

Illustration: photographie de Rarindra Prakara

  1. motpassant says:

     » J’ai fait la Turquie » « J’ai fait la Tunisie  »  » Nous avons fait les Etats-Unis  » etc..

    Ces expressions sont caractéristiques d’une perception dévoyée du mot  » voyager  » lequel ne signifie plus maintenant que regards perdus, achats de souvenirs improbables et bouffe encore plus improbables.

    Il existe, évidemment encore des voyages  » constructifs », mais la lecture est un réel voyage vers la compréhension des peuples. De nombreux écrivains nous offrent cette possibilité de découvrir de nouveaux horizons sans tomber dans cette industrie qu’est devenue le voyage.

  2. lautre says:

    Vassili Golovanov, dans Eloge des voyages insensés (Verdier), écrit : si ce voyage réussit, ce je ne sais quoi, je te l’apporterai… quelque chose de très important. Un mot… la clef de toute cette histoire

Répondre à lautreAnnuler la réponse.

Patrick Corneau