Une page d’écriture, quelle qu’elle soit, vous laisse toujours un goût. Il est variable même dans un registre restreint (je pense à l’exercice du blog). Ce goût ne tient pas au contenu mais à la manière dont celui-ci se déploie dans les mots, phrases, syntaxe qui nous sont extérieurs, imposés, à la différence de ce qu’ils rassemblent en nous. Ce goût est un sentiment, souvent obscur, qui traduit le regard que nous portons sur ce qui a toujours été là, nous accompagnait silencieusement, mais que nous considérons pour la première fois. Avec une sorte d’évidence, de fraîcheur qui parfois surprend. Avant de laisser place à quelque chose de plus ambivalent et qui laisse un goût d’inutile, de terriblement vain comme le geste d’une main à l’ami qui passe trop loin, et sans doute ne vous a pas vu. Crainte d’avoir commis un récit artificiel et surfait, d’avoir laissé passer ce genre de généralités plates qui paraît si vulgaire chez les autres, etc. Je veux effacer, jeter à la « poubelle » mais je me dis alors – en relisant tous ces riens égrenés, ces rendez-vous manqués avec ce qui nous faisait signe, ces souvenirs improbables, ces réflexions inabouties – que, peut-être, c’est l’inutile qui rend le monde aimable.

Illustration: photographie anonyme

  1. oceania says:

    « Je crois qu’elle regarde. . .
    Qu’elle ose regarder mon nez, cette Camarde
    (Il leve son epee)
    Que dites-vous?. . .C’est inutile?. . .Je le sais!
    Mais on ne se bat pas dans l’espoir du succès!
    Non! non! c’est bien plus beau lorsque c’est inutile »

    Cyrano de Bergerac, scène 5.VI

  2. Joséphine MAHO-EMMANUEL says:

    Oui, crainte surtout d’avoir laissé voir cet autre qui nous habite, de l’avoir

    laissé entendre à une oreille un peu triviale?

    La nostalgie, cher lorgnon, c’est que cet « éclat d’être » est toujours prélevé

    sur un temps qui n’est pas celui de la répétition,

    mais qui est un temps autre, celui peut être de l’événement.

    « La langue est porteuse d’une expérience commune qui parle toute seule, à tort ou à côté.Un expérience dont il arrive qu’il faille se défaire pour apprendre à parler » J.André.

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Patrick Corneau