J’avais pointé dans un précédent billet intitulé « Du poil » la légèreté avec laquelle l’université occupe parfois le temps de cerveau humain disponible des chercheurs,hedgehog1.1189256602.jpg spécialistes et autres scoliastes dans des colloques surréalistes ou délicieusement ubuesques. Je trouve une réjouissante et mordante confirmation de cette dérive de la « bêtise intelligente » dans l’admirable (je ne cesserai de le dire*) Elégance du hérisson de Muriel Barbery. Roman auquel on ferait bien de se frotter; même s’il pique ce sont les saines piqûres de l’intelligence, la vraie:
« Colombe Josse, qui n’a pour la Beauté (…) aucune considération suivie, s’acharne à explorer la pensée théologique d’Ockham au gré de minauderies sémantiques dépourvues d’intérêt. Le plus remarquable est l’intention qui préside à l’entreprise. Il s’agit de faire des thèses philosophiques d’Ockham la conséquence de sa conception de l’action de Dieu, en renvoyant ses années de labeur philosophique au rang d’excroissances secondaires de sa pensée théologique. C’est sidéral, enivrant comme le mauvais vin et surtout très révélateur du fonctionnement de l’Université: si tu veux faire carrière, prends un texte marginal et exotique (la Somme de logique de Guillaume d’Ockham) encore peu exploré, insulte son sens littéral en y cherchant une intention que l’auteur lui-même n’avait pas aperçue (car chacun sait que l’insu en matière de concept est bien plus puissant que tous les desseins conscients), déforme-le jusqu’au point de ressemblance avec une thèse originale (c’est la puissance absolue de Dieu qui fonde une analyse logique dont les enjeux philosophiques sont ignorés), brûle ce faisant toutes tes icônes (l’athéisme, la foi dans la Raison contre la raison de la foi, l’amour de la sagesse et autres babioles chères aux socialistes), consacre une année de ta vie à ce petit jeu indigne aux frais d’une collectivité…
À quoi sert l’intelligence si ce n’est à servir? Et je ne parle pas de cette fausse servitude qui est celle des grands commis de l’État et qu’ils exhibent fièrement comme marque de leur vertu: c’est une humilité de façade qui n’est que vanité et dédain. (…)
Se consacre-t-on à l’enseignement, à la constitution d’une œuvre, à la recherche, à la Culture? C’est indifférent. Car, en pareille matière, seule importe l’intention: élever la pensée, contribuer à l’intérêt commun ou bien rallier une scolastique qui n’a d’autre objet que sa propre perpétuation et d’autre fonction que l’autoreproduction de stériles élites – par où l’Université devient secte. »

Sic transit gloria mundi universitatis…

* N’en déplaise à l' »arrogante » Judith Bernard!

Illustration: « Please take a seat! and the hedgehog », photographie de Jean-Paul Nacivet

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Patrick Corneau