« On fait aller… », « L’espoir fait vivre… ».
Vaste illusion collective engendrée par un poison mental: l’espérance. L’impression d’avenir est le produit psychique du battement mécanique de nos organes vitaux: cœur, poumons qui soutiennent notre continuité, à mesure, un temps après l’autre, vaillamment. Une paresse d’exister et de sentir, une fuite de l’instant nous portent ainsi à désirer ce qui n’est pas là et repousser ce qui est là. Toujours ce gauchissement qui nous pousse à comparer ce qui est à ce qui devrait être. Ecce malus, ecce homo.
« Ainsi nous ne vivons jamais mais nous espérons de vivre; et nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons jamais. » (1)

(1) Pascal, Pensées 1670, fragment 172 dans l’édition L. Brunschvicg.
Illustration: Gustave Courbet, Bonjour Monsieur Courbet, 1854.

  1. croire says:

    Je m’achoppe à cette affirmation : « L’impression d’avenir est le produit psychique du battement mécanique de nos organes vitaux: cœur, poumons qui soutiennent notre continuité, à mesure, un temps après l’autre, vaillamment. » Pensez-vous réellement que nous fonctionnons comme des machines (battement mécanique) ? Nos organes ne seraient donc que des automates réglés de manière complexe, certes, par des « intervenants » de toute nature mais surtout pas « psychologiques » en partie. Qu’en savez-vous ? Je ne puis affirmer ou infirmer l’un ou l’autre. Le plus raisonnable me paraît de douter, simplement. Toutefois, je ne parviens pas à considérer que la vie est un processus de caractère rationnel (ce qui ne signifie pas qu’il est irrationnel). Et c’est dans ce contexte de parfaite ignorance où se baignent les humains que je trouve une explication de l’espoir ou de l’espérance, comme vous voudrez. Puisque je suis ignorant, je ne peux que croire en une vie que j’espère aussi pleine que possible. Trop ignorant, je ne peux qu’espérer et vivre d’illusions quelle que soient leur nature : religieuse, athée, philosophique, mystique et ou autres.

    D’ailleurs l’adverbe « vaillamment » que vous employez me paraît si peu « mécanique » ! Je vous prends là en défaut de cohérence. Car qu’est-ce que la vaillance ? Le Robert indique : « Valeur*, prix moral. | La vaillance militaire (Montaigne). | « (…) la vaillance De son courage et de sa lance » (Malherbe). » et aussi « Vertu guerrière; absence de peur devant le danger.  Bravoure, courage, générosité (vieilli). → Entre-tuer, cit. 1; héroïsme, cit. 2. | « Laisse (cit. 1) faire le temps, ta vaillance et ton roi ». — Acte de vaillance.  Prouesse (→ Peur, cit. 18). | Vaillance à la guerre, dans la lutte. ».

    Que vient donc faire la morale en votre affaire, via le mot « vaillammment » ? La vie serait-elle morale ? Je ne sais. Mais ce que je conteste c’est d’affirmer : « un poison mental: l’espérance ». L’espérance tient peut-être plus au cœur qu’au rationnel. Mais du cœur vous ne parlez point. L’affectivité est sans doute aussi une mécanique…

    Et l’amour se résume à une activité sexuelle provoquée par des hormones… Et les pleurs ne sont que des sécrétions…

  2. Lorgnon mélancolique says:

    Bonjour,
    Merci pour votre (long) commentaire. Votre lecture est par trop « littérale ». Le propre du fragment est de donner aux mots un « jeu » indispensable pour faire résonner (et non raisonner) certaines idées ou plutôt les sentiments ou émotions qui en sont à l’origine. Il n’y a aucune « moraline » dans mon propos et le « vaillamment » ne fait que suggérer la force irrépressible du mécanique à persévérer dans son être puisqu’il est « programmé » pour cela! Quant à la conception de l’humain qui est la mienne, elle est loin de l’unidimentionnalité que vous me prêtez (rationnel, mécanique…). Il y a en l’homme du mécanique (le biologique et sa prodigieuse « machinerie » dont nous ne connaissons qu’à peine les effets) qui vient interférer (et parfois soutenir) AVEC ce « je ne sais quoi » qu’on pourra appeler « l’âme » (le « coeur ») si ce mot a encore un sens aujourd’hui. C’est (« hélas! » ou « tant mieux » selon la complexion de chacun) la méconnaissance ou l’ignorance de ces effets qui entretient la bienveillante illusion de l’espoir. Comme le disait E. M. Cioran avec la virulence du moraliste : « Nous n’avons le choix qu’entre des vérités irrespirables et des supercheries salutaires. »

  3. croire says:

    Cet échange est intéressant. Effectivement, après la rédaction de mon commentaire, je me suis promené chez vous et j’ai constaté que votre point de vue était, dans les parties que j’ai lues, plus nuancé que la note que j’ai commentée dans le vif de sa lecture.

    Cette réflexion, comme votre réponse à mon commentaire – dont je vous remercie – démontre combien il est malaisé de « faire passer » la complexité de sa pensée dans une note plutôt brève. Alors, pour « frapper les esprits » on est tenté de forcer le trait. Comme vous l’écrivez « Le propre du fragment est de donner aux mots un “jeu” indispensable pour faire résonner (et non raisonner) certaines idées ou plutôt les sentiments ou émotions qui en sont à l’origine. ». Donc, si j’essaie d’interpréter cette méthode un peu caricaturale, vous avez une cible à détruire et vous ne dites pas toute la subtilité de votre pensée afin de frapper plus fort. Et ceci sans dire quelle est la cible qui provoque votre irritation.

    Pour ma part de tels détours me paraissent trop sophistiqués et propres à ne pas traduire correctement sa pensée ou, pour le moins, de la rendre trop systématique. Comme si vous vous masquiez pour être plus « efficace ». En somme créer du bruit (« résonné ») plutôt que de la réflexion (« raisonner »), comme vous l’écrivez dans votre réponse. Et voilà, ce faisant, que vous en appelez plus à ce « cœur » moribond qu’à un esprit attentif et tolérant. Sans doute est-ce le fait d’une « âme » blessée qui n’a pas encore soigné sa blessure. Je le comprends et l’admets volontiers, avec peut-être moins d’agressivité et de hargne. Mais on ne se refait pas. L’essentiel est que le « mécanique » n’ait pas trop étouffé le « cœur ».

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Patrick Corneau