Patrick Corneau

 

Pour Jacques Phillips

Les beaux jours sont là et ce matin en ouvrant la fenêtre côté cour, j’entends Monsieur le merle : il est de retour et s’égosille, très en verve, toujours à la même place (sur une des antennes de l’immeuble en face). Je me demande comment un si petit animal peut être si sonore ? Je comprends qu’il utilise le puits que constitue notre cour intérieure comme caisse de résonance, comme portevoix pour dialoguer avec quelque comparse ailleurs dans le quartier. Le bruit urbain est tel ici, avec la place toute proche et la circulation sur les avenues périphériques, que les oiseaux doivent trouver quelque subterfuge pour communiquer entre eux. Bravo l’artiste ! 

Impossible de savoir s’il s’agit d’appels, de dialogues ou d’une simple exubérance. Néanmoins cela me console du silence des hirondelles (j’aime tant leurs joyeuses stridences) dont l’absence est expliquée par ce qu’écrit Lambert Schlechter dans La Trame des jours (éditions des Vanneaux, 2010) où il relève ceci dans un quotidien italien : « Depuis des années les ornithologues observent que les hirondelles arrivent de plus en plus tard et repartent de plus en plus tôt ; autrefois, en Italie, elles étaient de retour pour le 21 mars – San Benedetto, la rondine sotto il tetto… – maintenant elles attendent avril, et repartent en août. Ce qui leur rend la vie difficile dans nos parages, c’est le manque de nourriture dans le ciel de nos villes de plus en plus hygiéniques ; l’hirondelle, qui ne vit que d’insectes, en attrape jusqu’à sept mille par jour… »

J’allais oublier de dire que le chant conquérant (un brin « arrogant » ?) de Monsieur le merle est l’une de ces « petites choses », de ces « petits faits » qui assurément mettent en joie pour la journée. Une de ces observations que la poétesse Sei Shonagon aurait volontiers mise dans la « liste des choses émouvantes ». 
Ces humbles rencontres du quotidien, ces quotidiennetés nous reposent de la lancinante et cruciale question de l’univers, de l’existence du mal et du néant qui, comme l’a écrit Annie Dillard dans Pèlerinage à Tinker Creek est une question « vide de sens » et lui fait avouer : « C’est donc aux franges de la question que je porte mon attention, aux contours de la nageoire du poisson, à l’inextricable complication des petits points et des infimes mouchetures qui sont le détail du monde. »
Comme le dit bellement L. Schlechter dans une déclaration de foi agnostique : « Acquiescement qui n’a rien d’apologétique, ni pour un Dieu, ni pour le monde ; prodigieuse force du malgré, malgré le malheur, malgré l’horreur, voici la tendresse, voici la beauté, l’infinitésimale tendresse contre l’omniprésent malheur. Chant du merle face aux canons ; chant qui ne se tait pas. »
Qui sait si le chant du merle – son ardente, jubilante, transcendante et naïvement épanouie joie – n’est pas porteur d’autre chose ?
Qui sait s’il n’en pas plutôt la péremptoire, constante et majestueuse réfutation ?
Laissons ces mystères penser en nous…

Illustrations : Photographie ©LeLorgnonmélancolique – peinture de Zhū Dā, connu également sous le nom de Bādà Shānrén (1624-1705).

Prochain billet bientôt se Deus quiser.

    1. Patrick Corneau says:

      Oui, Serge, dans « Le Temps des cerises » : « Quand nous chanterons le temps des cerises / Les gais rossignols, les merles moqueurs / Seront tous en fête. » ?

      1. Patrick Corneau says:

        Bonjour, l’article dont vous parlez est en préparation, l’annonce en a malheureusement été diffusée par erreur (erreur de manipulation de WordPress) et donc retiré puisque non terminé. Veuillez m’en excuser. Merci pour votre fidélité au Lorgnon, bien cordialement, ?

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Patrick Corneau