L

Les habits neufs du Wanderer Sylvain Tesson

Patrick Corneau

La semaine dernière, à La Grande Librairie, François Busnel accueillait pour la 31ème fois Sylvain Tesson à l’occasion de la sortie de son nouveau livre Noir : Arrière la mort ! (250 croquis de pendus et suicidés au pistolet) aux éditions Albin Michel. L’écrivain, est apparu tout de noir vêtu : élégant blouson en cuir noir Perfecto (qui semblait n’avoir jamais été porté), pantalon et chaussures (boots) idem, et surtout aux doigts, deux bagues arborant des crânes assorties aux boutons de manchettes de la chemise (blanche). Pour parfaire cette panoplie de poète gothique ou de loubard rimbaldisé, ne manquait plus sur cette belle gueule cassée qu’un bandeau noir sur l’œil ou quelque piercing joliment destroy… Cette mise en scène à la limite du ridicule me sidéra : comment cet esprit si vif, si cultivé, si maître de ses mots, n’ouvrant la bouche que pour des formules pleines de brio, genre triple vrille avec double salto arrière et rétablissement sur le mot, l’image ad hoc, éblouissant son public avec des réparties sans appel, pouvait se compromettre dans une telle carnavalisation de sa personne ? Comme si le macabre – dont il s’est vigoureusement défendu verbalement face à Busnel – devait néanmoins transparaître via « l’habit » qui, comme on le sait, « fait le moine » sous les sunlights… Peut-on penser que quelque agent(e) littéraire, quelque cacique éditorial, quelque attaché(e) de presse tire en coulisses les ficelles médiatiques de la poupée Tesson ? On l’imagine aisément : il y a des tirages à deux ou trois chiffres et, à la clé, un ruissellement de royalties sonnantes et trébuchantes, alors…
Ceci dit, l’émission fut intéressante. Dopé par l’enthousiasme d’acier de Busnel, le Wanderer Tesson cocha toutes les cases : la Mort, la Vie, la Beauté, le proche et le lointain, la Russie, le smartphone, la paternité, ses aphorismes, sa bibliothèque… cela nous changea des habituelles petites sucreries au goût leïlaslimanisé ou, pire, le face à face déprimant avec le dragon Ernaux* de la semaine précédente…

J’ai chambré ici même cette spectacularisation des écrivains lorsqu’ils apparaissent dans les médias, notamment les philosophes remplacés par de ludiques pop-filosophes aussi plats que les écrans où ils gesticulent. Qu’est-ce qu’un philosophe pour la télévision ? Comme nous l’avons dit : un habit ! C’est-à-dire ? Une chemise impérativement blanche ouverte au troisième ou quatrième bouton (on peut faire varier ce facteur glamour), une veste de coupe sobre noire, le cheveu poivre et sel, plutôt long car les idées le sont, pas trop calamistré et même un peu dérangé, un peu flou (le fuzzy apporte une séduisante note « zinzin »), la barbe de trois jours est de rigueur, elle cautionne le sérieux de l’affaire – la sagesse est forcément « barbue ». 
Je n’épiloguerai pas sur les noirs chapeaux** de Madame Nothomb ni sur son sanglant rouge à lèvres…

Face à ce spectacle consternant de voir un écrivain talentueux compromettre sa crédibilité, la confiance de ses lecteurs dans la construction d’un personnage pour mascarade médiatique, me revint soudain en mémoire cette réflexion de Witold Gombrowicz que je venais de lire dans Le sain esprit de contradiction qui vient de paraître chez Bourgois : « Bah ! L’art ne consiste pas seulement à fabriquer de la beauté sur du papier grâce à ce que l’on nomme le « talent » ; l’art, c’est l’homme qui se construit. Combien de fois l’on voit des défauts, apparemment anodins, ruiner chez un individu le plus beau talent. Par ses dons, son métier, ses héros, l’artiste peut atteindre les sommets de l’Olympe, mais il nous agace un peu car le style de sa personnalité est biologiquement mauvais ou socialement déplorable. » 
Ah Witold, que vive ta sublime moquerie !

* À lire le portrait à la plume finement acérée de Nicolas Ungemuth paru dans Le Figaro Magazine.
** Rien à voir par exemple avec les coiffes et chapeaux de Thelonious Monk qui n’avaient pas pour fonction d’amuser la galerie mais étaient partie intrinsèque de son génie, lequel était de rendre rassurante l’étrangeté. Monk, « The Mad Hatter », c’est un fait, travaillait du chapeau, génialement !

Illustrations : (en médaillon) dessin de Fabien Clairefond pour Le Figaro, photographies ©La Grande Libraire France Télévision.

Prochain billet bientôt se Deus quiser.

  1. Serge says:

    La formule de Gombrowicz me fait penser à Picasso et au champ de ruine de sa vie de famille.
    Chaque fois que l’on cite le nom de Mme Ernaux il faudrait rappeler qu’elle laissera son nom dans l’histoire de la littérature comme la première écrivain qui a fait virer l’un de ses collègues d’une maison d’édition parce qu’elle n’appréciait pas son travail.
    Nous sommes accablés par les nouvelles anxiogènes, l’Ukraine, le Covid, le réchauffement climatique, le burkini, une femme nommée premier ministre, aussi un petit tour hebdomadaire sur ce blog qui nous parle du chant des merles ne peut pas faire de mal.

  2. alfreddalban says:

    Sylvain Tesson pense que la mort nous interdit de prendre la vie à la légère. Pourtant, une vie éternelle serait tout sauf légère, une horreur. Sylvain ressemble à ces personnes qui tiennent à faire de leur vie une sorte de chef d’oeuvre, avec une dose de prétention qui empêche de vivre de façon légère et délicieuse. Chamfort note à juste titre que « Les prétentions sont une source de peine et l’époque du bonheur de la vie commence au moment où elles finissent. » Ne reste plus qu’à souhaiter à Sylvain qu’il écrive un peu moins pour faire la tournée des bars branchés et faire rêver les filles à boucles dans le nez, accoudées au comptoir, avec le récit de ses aventures; il a déjà le blouson et les bagues. L’occasion pour lui d’élargir son public et lui faire oublier la vieillesse qu’il avoue craindre.

Répondre à Patrick CorneauAnnuler la réponse.

Patrick Corneau