Patrick Corneau

Les nuages paissent dans le ciel bleu acide
C’est-à-dire qu’ils passent et y pissent du blanc
À foison, font un foin de silence tonnant,
De grandes bouses de boue de neige debout.

Les nuages passent et, passant, sont tout entiers
Leur passage en nuages, en douceur, en soudaine
Facilité à passer, comme un pâté d’eau
Venu dans le ciel qui tient, qui tremble, qui bouge.

Ils passent et ne disparaissent pas, se remplissent
De leur écroulement, gonflent de s’ébouler,
Ils s’augmentent de leur propre et lente avalanche.

Les nuages comme des vaches à lait de lait
S’emplissent d’eux-mêmes et de crème, rajeunissent
Et jaunissent comme des photos dans le temps.


Merci à Laurent Albarracin de m’avoir rendu un peu plus néphélibate !

Sonnet extrait de Le Grand Chosier, Éditions le corridor bleu, 2015.

Forte de plus d’une trentaine d’ouvrages, l’œuvre essentiellement poétique de Laurent Albarracin s’est augmentée en 2015 avec Le Grand Chosier d’un recueil composé de douze séquences offrant, de la prose au sonnet, diverses approches d’une même vision des choses, à la fois cocasse et spéculative. Usant des deux figures principales que sont la métaphore et la tautologie, cette exploration cosmographique produit de joyeux et célébrants éclats, malicieux, délicieux, détonant singulièrement dans le paysage bien souvent compassé de la poésie contemporaine… Cette célébration ontologique des choses – faussement pongienne de par son filigrane métaphysique – nous restitue ce que l’usure des mots et des jours avait gommé : l’étonnement, l’émerveillement devant l’énigme du monde, la profusion de la vie et sa splendeur inexplicable. Le poète prend ce formidable atterrement, si l’on ose dire, de plein fouet, avec cette précision étrange qu’ont les choses lorsqu’elles sont désymbolisées, rendues à une matité première, à l’évidence de leur présence, à l’obstination de leur être-là. Chaque chose est translucide et dès lors sublimement, vertigineusement mystérieuse ; rien en son évocation n’incite à avancer, à tourner la page pour découvrir la chose suivante. Nous nous contentons de lire et d’être en sa présence. Le terme le plus adéquat pour décrire cette expérience d’ « in-stase », de repos dans une complétude comblante, serait sans doute : « demeurer ». L’ensorcellement de cette téléologie récessive vers la plénitude des choses est de nourrir concomitamment un vide dont l’effet est de révéler que tout ce qui advient – les triomphes et les tragédies de l’humanité, les victoires et les défaites des hommes – ne recouvre de sens que grâce à la continuité de leur existence non humaine.
La lecture de Le Grand Chosier est une canonnade de coups de foudre incessants. Le cosmos redevient ce qu’il a toujours été : munificence et enchantement. Autrement dit, un ordre parfait. Nous le savons, nous l’avons toujours su mais il faut des poètes pour que nous le croyions.

Illustrations : Photographies ©LeLorgnonmélancolique / Éditions le corridor bleu.

Prochain billet le 23 décembre.

  1. Ce poème est une pièce maitresse, un morceau d’anthologie !
    L’effondrement continu des nuages n’engendre rien de moins que ce chaos de l’esprit quand il traverse les flaques de crème, cette pâtée de boue blanche où le regard glisse sur un ciel lavé.
    Oui, le défilé des nuages est une chute sans fin dans la cuisine des rêves d’enfance.

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Patrick Corneau