Patrick Corneau

Je remontais la rue des Pyrénées à Paris et passant devant la célèbre boulangerie Ganachaud, dite Gana, je vis une petite fille de trois ou quatre ans tirant la manche de son père pour l’attirer vers la vitrine où se trouvait une petite crèche: « Bébé, petit bébé! » criait-elle. Le père, la trentaine, sur un ton moitié blasé, moitié indisposé: « Va! tu en verras plein d’autres… » Et il la repoussa vers le milieu du trottoir.
Cette scène, on ne plus anodine, me parut fort instructive.
Cette effraction dans l’ordre du temps que fut l’apparition du Christ et la révélation d’un message d’amour appelant les hommes à dépasser leur simple humanité était réduite là à un bout de plastique au sein d’une petite scénographie champêtre, titillant les sentiments maternels naissants d’une toute petite femme…

Remontons la bobine et imaginons une autre version de la scène. 

Le « bébé » sort de l’anonymat et s’appelle Jésus. La petite fille le reconnaît et crie: « Jésus, le petit Jésus! » On peut imaginer une possible gêne du père voyant l’espace laïc qu’est la voie publique violé par l’expression d’une marque, d’une appartenance religieuse. Le père n’est peut-être pas croyant mais il milite dans une association en faveur des migrants ou pour le logement des sans-abri. Tout son être est imbibé d’une Nouvelle révélée il y a plus de 2000 ans qu’il perpétue et vivifie dans l’ignorance la plus complète et même, peut-être, avec la conviction de devoir s’en éloigner au nom des lumières de la Raison.
Que le Christ soit ainsi rendu à l’anonymat le plus oublieux par une époque qui ne cesse de faire chuter les majuscules, les hiératismes et autres verticalités, pourrait rendre mélancolique. Mais à bien y réfléchir, ce renversement paradoxal n’est-il pas au fond l’essentiel du message évangélique: la victoire trans-temporelle de l’infinie faiblesse? Mystère dont le sens destinal dépasse le cadre de ces quelques lignes.

Illustration: photographie ©Lelorgnonmélancolique.

Prochain billet le 7 février.

  1. pascaleBM says:

    Si les questions de foi, de croyance religieuse, de révélation (sans majuscule…) resteront pour moi irrésolues -contrairement au sentiment prégnant, mais peu répandu, de la spiritualité comme élévation de l’humain au-dessus de sa condition animale- il reste qu’il devient « sacrément » compliqué de faire appel à la moindre culture religieuse de nos jours, pourtant indispensable pour saisir l’histoire de l’art (musique, peinture en particulier mais pas seulement) ; Noël n’est plus QUE la venue du Père du même nom. Et la visite en masse de tel ou tel chef d’œuvre de l’architecture religieuse participe à quelque chose qui ressemble à un passage au zoo…

  2. Vous avez abruptement dit l’absence violente d’espérance d’un monde qui renie ce qui l’a fondé (sa culture, en bonne partie, et pas seulement), ceci impliquant sans aucun doute cela. Et je suis violemment d’accord.

  3. Serge says:

    Il semblerait que la pire subversion lançant la meute à vos trousses soit de s’afficher comme un homme politique catholique et de suivre les préceptes de l’église, contre le mariage des homosexuels, contre l‘avortement, contre la GPA.
    M. Bellamy en fait la cuisante expérience ces jours-ci.

    1. En plus, son minois de premier communiant, premier de la classe, premier à l’agrégation, son côté lisse, propre sur soi, son débit rapide d’intellectuel dialecticien en font la figure idéale pour pour le punching-ball social – les cancres jubilent: Jojo-gilet-jaune peut enfin défouler toute sa rancœur impuissante de demi-instruit. On attrape la tête de Bellamy, on la tape sur le plancher, sans s’arrêter, pendant un bon quart d’heure. On est content, on vibre, on est bien satisfait.

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Patrick Corneau