Cher Christian Bobin,

C’est le dernier jour d’août. Je suis assis dans mon salon, votre livre à la main. Au-dessus de la page, je vois la fenêtre, les toits de Paris et un ciel bavard de fin d’après-midi où les nuages se bousculent comme des écoliers turbulents.
Je vous lis lentement, très lentement. Vos phrases m’y obligent. Je ne suis pas le maître. Alors que vous me parlez de Ryokan, ce moine japonais qui ne vivait que de mendicité et de lecture, un énorme nuage en forme de barbe à papa me fait signe dans la croisée. Puis il glisse sur la gauche et laisse un vide bleu pâle. Je tourne la page.
Vous me chuchotez d’étranges choses:
« Je ne crois pas à ce qu’on me dit. Je crois à la façon dont on me le dit. » C’est exactement mon sentiment quand je vous lis. J’ai lu tous vos livres, je n’ai jamais cru à ce que vous me disiez, mais toujours à la façon dont… Peut-être est-ce cela l’étrange victoire du poète: ne jamais être cru mais toujours lu pour son art et sa manière*. Lu au-delà même de toute croyance. C’est un peu comme avec l’être aimé: l’essentiel n’est pas CE qu’il vous dit, mais que ce soit LUI qui vous le dise. Ne seriez-vous pas en train de faire mentir William Blake qui écrivait que « La vérité, jamais ne peut être dite de telle manière qu’elle soit comprise et ne soit pas crue »?
Le seul que je crois par ailleurs est votre éditeur: « Christian Bobin ne vit que d’écriture. Chez lui, nul portable, nul e-mail. Pour correspondre, il écrit à la main. Il livre ici un texte entièrement fait de lettres. »
Alors que je vous écris, j’entends un bruit de balançoire. C’est votre livre qui se rappelle à moi. Oui, pardonnez-moi, je ne suis pas le maître, je suis votre hôte…
Le nuage dont je parlais au début de ma lettre est maintenant bien loin. Il m’a vu vous lisant. Il a vu le sourire donné quand je tournais la page.

Désolé de vous avoir un un peu contrefait dans la manière, c’était pour vous dire le plaisir de vous avoir lu, compris sans vous croire,

Le Lorgnon mélancolique

« J’ai du courrier à faire. Il est important, c’est pourquoi je ne le ferai pas. Ces enveloppes dites ‘à fenêtre’ – leur fenêtre n’ouvre sur rien. Je rassemble mes années autour de moi pour avoir plus de force. Il en faut pour ne rien faire. Le diable des modernes a décidé que nous serions tous, toujours, très occupés. »
Christian Bobin, Un bruit de balançoire, L’Iconoclaste, 112 pages, 19€, parution le 30 août 2017. LRSP (livre reçu en service de presse)

* Le plus important, disait Charles Péguy dans ses Cahiers, c’est bien le ton: « C’est cela, c’est le ton, c’est le style, c’est la résonance de ce que vous dites que j’attends… Cela seul n’est plus une opération, une affaire d’histoire, de science, de corbillard, d’enterrement et de cime­tière. Cela seul est une opération, une affaire de vie. » Il affirmait: « Je ne juge pour ainsi dire jamais un homme sur ce qu’il dit mais sur le ton dont il le dit. »

Illustration: photographie ©Lelorgnonmélancolique.

Prochain billet le 4 septembre.

  1. Pascale BM says:

    Merci pour Christian Bobin. Dont je lisais à une époque tout, absolument tout. Il a une pile « réservée ». J’avoue l’avoir délaissé un peu, je vais me rattraper. Et puis, un livre de lettres… sans la tentation de la machine. Cet homme, mais on le sait, est un saint, pas au sens théologique bien sûr, mais au sens plus exigeant d’une humanité qui ne triche pas avec les miroirs aux alouettes dont nous sommes entourés. Je ne sais pas s’il lui a fallu beaucoup d’efforts pour se dé-prendre à ce point, mais suis sûre -en m’en voulant de ne pas y parvenir assez- qu’il a raison contre le monde entier. Même et parce que ce n’est surtout pas ce qu’il cherche.
    Dans un monde de ‘robots’ dont on nous prédit le meilleur, et qui n’apportera que le pire, car le meilleur ne peut être sans âme, combien de Christian Bobin resteront-ils pour nous attirer dans leur douceur?

    1. Dans La Croix, un bel article : http://www.la-croix.com/Culture/Livres-et-idees/Christian-Bobin-paisible-clairiere-2017-08-07-1200868116
      J’aime ce que vous dites de Christian Bobin que l’on moque dans les milieux prétendument « intellectuels » (pas forcément intelligents) à cause des anges (il y en a « trop », comme il y « trop » de notes chez Mozart), à cause de ses fleurs, de ses petits oiseaux, etc. choses qui sont l’essence même de la poésie japonaise, par exemple, et que personne ne moquerait… Dans ses lettres, une (« Cher messager » p.78) est consacrée à célébrer la musique d’Arvo Pärt, compositeur habituellement décrié par les mélomanes (pas forcément musiciens) pour son simplisme tonal (pas « assez » de notes).
      Chez Bobin, j’aime l’art du détail fractal: un petit élément qui contient le tout et le dénonce tout en le faisant apparaître.

      1. Pascale BM says:

        J’ai eu de la chance pour Arvo Pärt : de vrais mélomanes de mes proches le célèbrent, et le jour -un peu ancien- où j’ai découvert cette musique, je m’en souviens encore : une lumière rasante de fin d’automne qui feuilletait d’or tout ce qui m’entourait. Je ne peux dissocier Arvo Pärt de cette image silencieuse et intense.
        Je crois, mais il faudrait que je vérifie les dates précisément, que mes lectures de Christian Bobin sont celles « des débuts », peu et parfois pas d’anges, ou ma mémoire est-elle sélective?

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Patrick Corneau