Deux femmes japonaises en tenue de pèlerin (blanc) cheminent le long d’une route du Hokkaido, elles font une pause et se désaltèrent avec leurs gourdes. L’une pousse un long soupir de contentement, ce « haaaa » que l’on expire du fond de la gorge et que les enfants aiment faire. D’où vient ce geste, cette détente vocalisée du corps qui transcende les âges et les cultures?
Différente est la « ahité » des choses dont parlait Claudel: « cela dans les choses qui fait ah! » et qui constitue dans la sensibilité poétique japonaise le « moment du haïku »: l’éclair de conscience (Ahness) où l’on saisit la mélancolie des choses dans ce qu’elles ont de transitoire et d’éphémère (la floraison des cerisiers, l’objet imprégné de wabisabi). Au Japon, déclare Jean Grenier « connaître le Ah des choses, c’est entendre le soupir que poussent les choses de la Nature lorsqu’elles prennent conscience à travers nous de leur précarité »*.
Le sens souverain des limites n’est pas l’apanage de l’orient, on en trouve une belle expression – presque pathétique, dans le Journal de Katherine Mansfield: « Chaque chose a son ombre… C’est une conscience tragique, je le sais. Mais nous affrontons la mort à travers la vie. Nous voyons la mort dans la vie comme nous la voyons dans une fleur fraîchement éclose. Que notre hymne soit pour la beauté de la fleur: nous la rendrons immortelle parce que nous savons. »

* Lexique, illustrations de Hadju, Fata Morgana, Fata Morgana, 1969.

Illustration: photographie de Suizan Kurokawa – Untitled, ca. 1906.

  1. Pascale BM says:

    J’aime beaucoup l’expression « le sens souverain des limites »… ne serait-ce point Alpha qui ignorerait Omega?

  2. Pascale BM says:

    Ah! je me corrige, puisque j’ai écrit l’exact contraire de ce que je voulais dire (l’inconscient fonctionne tout va bien!) : « le sens souverain des limites » … ne serait-ce point Alpha sous la (haute) surveillance d’Omega?

    1. Parfois, je me demande si « l’inconscient » ce n’est pas ce clavier qui souvent court plus vite que notre conscient… enfin, passons. J’aime bien ce point de vue « theillardien » sur le Ah!, je n’y aurais pas pensé.

Répondre à Pascale BMAnnuler la réponse.

Patrick Corneau