Petit éloge de la fuite hors du monde de Rémy Oudghiri, Arléa, 2015.
Renonçants de Michéa Jacobi, Éditions la Bibliothèque, 2016. LRSP (livre reçu en service de presse)

C’est l’été, saison des vacances (« caractère de ce qui est disponible » dit Larousse), temps des grands départs et des bousculades automobiles vers des horizons où l’on pourra rompre avec la vie citadine et son cortège d’habitudes aussi mornes que sclérosantes. Car si nous sommes dans le monde, « nous ne sommes pas au monde » comme le proclamait Rimbaud, « la vraie vie est absente ». Vient un appétit de rupture, de renoncement, de fuite…
Deux livres récents éclairent ce désir de vita nuova.
Qui n’a pas rêvé, un jour, de tout quitter? De renoncer au confort d’une vie réglée, d’abandonner la société des hommes, de disparaître à l’horizon du monde? Cette tentation de la fuite peut apparaitre à tous les âges de la vie, toucher tous les milieux, prendre des aspects très différents selon les individus; force est de constater qu’elle est présente chez beaucoup de nos contemporains. Certains ne feront qu’y penser, d’autres sauteront le pas et se lanceront dans l’aventure. C’est pour mieux cerner ce phénomène que Rémy Oudghiri (après la déconnexion) se penche sur notre désir d’autre chose. De la fuite au désert prônée au IVe siècle par l’érémitisme chrétien à l’éloge exalté de l’évasion à partir des années 1960, c’est dans la littérature qu’il trouve les réponses les plus inattendues. De Pétrarque à Rousseau, de Tolstoï à Flaubert, sans oublier Simenon ou Pascal Quignard, Rémy Oudghiri montre que, derrière ce besoin de retrait, on retrouve le même secret étonnant et paradoxal: la fuite hors du monde n’est rien d’autre qu’une façon d’y entrer vraiment. Il faut se défaire du vieux monde (ses faux-semblants, les cache-misère de la comédie sociale) jusqu’à disparition complète pour renaître à soi dans une vie seconde.
Avec Michéa Jacobi, nous passons un cap, un degré dans l’absoluité de la recherche d’une métamorphose transpersonnelle, d’une metanoia. Poursuivant son exploration de notre humaine condition, après les marcheurs et les xénophiles, Michéa Jacobi se penche sur les renonçants de Diogène à Syméon le stylite en passant par Elvis Presley. Dans ce défilé (par ordre alphabétique, ce qui tend à suggérer qu’aucun « renonçant » n’est supérieur à un autre) nous croisons les « dendrites » retirés dans leurs arbres, les « stylites » perchés au sommet d’une colonne, les ermites, les anachorètes, tous ceux qui ont su trouver leur thébaïde. Ont-ils été plus heureux pour autant? Cela n’est pas sûr. Après son renoncement à la poésie, Rimbaud ne vécut pas heureux à Aden et à Harar. Brigitte Bardot annonce en l’an 1973 qu’elle met définitivement fin à sa carrière – ce qu’elle a fait – pour devenir cette vieille dame aigrie que nous connaissons. Nous, vous, moi, certains jours avons cette envie de tout foutre en l’air, pris par la lubie existentielle du grand adieu et puis… nous baissons les bras.
Renoncer à renoncer est-ce une preuve de sagesse ou l’aveu de notre irrémédiable timidité, médiocrité, veulerie face à ce que Nietzsche appelle la « grande santé »?
À chacun de délibérer. Après lecture.

Illustration: photographie ©Lelorgnonmélancolique.

  1. Célestine says:

    Un beau sujet qui titille le plexus…
    La fuite en soi-même peut aussi être une solution, plus écologique de surcroît…
    Mais il faut reconnaître que la tentation de tout larguer effleure quiconque réfléchit un peu au sens de la vie.
    ¸¸.•*¨*• ☆

  2. catherine says:

    Il faudrait peut-être que la fuite ne soit pas une aventure, ni une mésaventure, juste quelque chose qui s’échappe. Du sable qui coule entre les doigts.

  3. serge says:

    La fuite aurait un sens si on pouvait se fuir soi-même, ses souvenirs douloureux, ses manies, ses limites, ses petitesses, pour renaître et recommencer.
    S’il s’agit uniquement de s’isoler de la sociéte, de changer de lieu, de profession ou de quitter sa famille, l’intérêt semble limité. (j’ai essayé).
    Mais j’irai acheter ces livres car le concept attise ma curiosité.
    En ce qui concerne BB, quand vous dites qu’elle est devenue une vieille dame aigrie, je ne vous suis plus. Sa deuxième vie au service de la condition animale est exemplaire et ses prises de position concernant le danger de l’islamisme, très courageuses. Beaucoup qui termine leur carrière avant 40 ans n’ont pas mis leur notoriété au service d’une noble cause.

    1. Merci pour votre témoignage (personnel) sur les limites de la fuite. Quant à BB, personnage assez controversé, ses prises de position (louables pour certaines) ne semblent pas inspirées par une naturelle bonté mais par du ressentiment malheureusement instrumentalisé par de cyniques imposteurs. 🙂

  4. Pascale BM says:

    « je sais bien ce que je fuis, et non pas ce que je cherche » dit Montaigne. Qui a, décidément, la parole juste, comme on dit d’un vêtement qu’il tombe juste… ou d’une note qu’elle n’est pas fausse.
    Et si l’on porte et emporte avec soi la raison qui a fait le désir de fuir, c’est double peine, double fardeau : avoir quitté l’ordinaire rassurant à défaut d’être consolant pour aller à l’inconnu.
    Une forme de sagesse serait sûrement de fuir sur place, la place, le lieu qu’on a fini par habiter au sens noble, fuir le bruit, l’agitation, l’effervescence, l’absolument inutile, non pas tant partir pour se mettre à distance que mettre distance de soi tout ce qui divertit, diversion montaignienne et divertissement pascalien.

    1. Ce serait le « fuir » qui compterait davantage que la fuite (vers un lieu improbable). Oui, j’aime bien l’idée du fuir sur place: creuser son idiosyncrasie, aller vers l’inconnu qui habite en nous… 🙂

  5. Pascale BM says:

    ce n’est pas tant le lieu de la fuite qui est improbable, chacun a en tête une petite liste de lieux… que la fuite elle-même qui fait du sentiment d’incomplétude une force, parfois. Quelque chose qui pousse à se vouloir autrement, sans pour autant se vouloir autre. Ah! ce n’est pas si facile d’habiter sans cesse cette maison que nous sommes pour nous-mêmes, la meilleure puisqu’il n’y en a pas d’autre, la pire parfois pour la même raison…

    1. Sur la marche comme déprise (faire un pas de côté) et mise en exercice de la fuite: belle émission de Répliques d’Alain Finkielkraut à (ré)écouter: (https://www.franceculture.fr/emissions/repliques/en-marche)
      Deux phrases extraites de l’émission que les fuyards devraient avoir toujours en tête:
      « Je trouvais désinvolte d’avoir couru le monde en négligeant le trésor des proximités. » Sylvain Tesson
      Qui trouve un écho chez Nietzsche: « Nous devons redevenir de bons voisins des choses les plus proches. »

  6. Pascale BM says:

    Merci pour le lien.J’irai.
    Dans « actualités et acribies » lignes récentes…. sur la Marche.
    J’aime les paradoxes nietzschéens du philosophe marcheur-danseur, au-delà de toutes ses douleurs, quand il avançe dans le passé glorieux des temps anciens.

  7. Sophie Plantade says:

    Relire à ce propos Anywhere out of the world de l’épouvantable Baudelaire, et voir tout d’un coup les dernières illusions tomber

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Patrick Corneau