Il y a quelque chose dans l’air. Comme un frémissement. On nous dit que c’est l’Espérance. Ils sont nombreux à la clamer avec des pépites dans les yeux. D’autres sont indifférents comme s’ils avaient oublié le sens même de ce mot. Certains s’en moquent la bouche tordue par un sarcasme à la vue de cette majuscule. Et pourtant, et pourtant, elle est là… à l’œuvre, modeste, arrimée à un axe secret d’existence qui se construit pierre à pierre, elle s’applique à remettre le temps sur ses gonds.
Écoutons Charles Péguy célébrer avec sa manière un peu fiévreuse cette lumière tremblante mais obstinée.

« Ainsi éclate dans son plein jour le sens et la force et la vocation et pour ainsi dire la vertu de celle que nous avons nommée la jeune enfant Espérance. Elle est la source de vie, car elle est celle qui constamment déshabitue. Elle est le germe. De toute nais­sance spirituelle. Elle est la source et le jaillissement de grâce, car elle est celle qui constamment dévêt de ce revêtement mor­tel de l’habitude. […]

C’est elle qui est chargée de recommencer, comme l’habi­tude est chargée de finir les êtres. Et les êtres matériels et les êtres spirituels. Elle est essentiellement et diamétralement la contre-habitude, et ainsi le contre-amortissement et la contre- mort. Elle est chargée de déshabituer constamment. Elle est chargée de recommencer toujours. Elle est chargée de démon­ter constamment le mécanisme de l’habitude. Elle est chargée d’introduire partout des commencements comme l’habitude introduit partout des fins et des morts. Elle est chargée d’in­troduire partout des organismes comme l’habitude intro­duit partout des mécanismes. Elle est chargée d’introduire partout des commencements de commencements, des com­mencements d’êtres, comme l’habitude introduit partout des commencements, ou plutôt les commencements, ou plutôt l’innombrable et toujours le même commencement de la fin. »
Charles Péguy
, Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne, Œuvres en prose complètes, sous la direction de R. Burac, tome III, Gallimard, « Pléiade », 1992, p. 1327-1328.

Illustration: Photographie de Yocca.

  1. Pascale BM says:

    Comme Péguy n’est pas vraiment dans ma pile de favoris, ni passés, ni présents, -peut-être le sera-t-il à venir?- je me garderai bien de la ramener, comme on dit…
    Juste la petite remarque, pas même une question : j’ai bien peur de préférer l’espoir à l’espérance… le premier me dit que quelque chose peut advenir, la seconde me susurre qu’il faut mieux ne pas trop y compter… Et sur ce coup-là, je me trouve terriblement a-métaphysique, et ça ne me plaît pas trop.

    1. Oui, vous avez raison l’espoir est plus terrestre que l’espérance qui relève davantage des « choses d’en-haut ». Quand au choix et à l’efficience de l’un ou de l’autre, je ne me prononcerai pas… 😉

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Patrick Corneau